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chute. Ces causes sont moins compliquées qu’elles ne le paraissent, et peuvent même se réduire à une seule ; mais leur action se diversifie selon les temps et les circonstances. Quand s’est fondé le premier dogme admis en commun par deux ou plusieurs hommes, leur pensée, qui l’avait conçu librement, conservait nécessairement après l’accord la liberté dont elle avait joui et qu’elle ne pouvait aliéner. Il en résulte que dans toutes les religions il y a deux élémens psychologiques, dont l’un représente le consentement et engendre l’autorité des assemblées, tandis que l’autre représente les dissentimens et donne naissance aux opinions individuelles. On comprend que c’est par le consentement que se fondent les orthodoxies, et qu’elles ont pour point d’appui l’autorité.

D’un autre côté, puisque les religions procèdent d’une source commune et reposent sur une observation juste, quoique vague, des phénomènes naturels, il y a entre toutes les orthodoxies de la terre une somme de dogmes communs qui représente la religion primitive, et c’est par les développemens ou par les déviations locales de ces premiers dogmes qu’elles en sont venues à différer entre elles et même à se combattre. Les points sur lesquels tout le monde est d’accord ne tardent pas à se ranger aux arrière-plans et en quelque sorte à s’effacer ; les discussions portent naturellement sur les points de dissidence. Ainsi l’Allah des Turcs ne diffère pas absolument du Dieu des chrétiens, celui des catholiques est à peu près le même que celui des Grecs ou des protestais ; mais les développemens particuliers de chacune de ces orthodoxies ont mis aux prises les uns avec les autres les hommes qui les ont adoptées. C’est donc l’élément propre de chacune d’elles qui les constitue, comme en histoire naturelle c’est la différence qui constitue l’espèce.

L’élément commun des religions, étant pur de tout mélange étranger et d’ailleurs n’étant guère soumis aux discussions, se transmet à travers l’humanité et se conserve indéfiniment ; il n’est sujet ni à l’accroissement ni à la diminution ; il peut seulement à de longues périodes recevoir des expressions de plus en plus scientifiques. Au contraire, l’élément propre qui constitue les orthodoxies est soumis aux mêmes lois générales de développement et de décadence que toutes les autres formes créées par la nature ; il parcourt dans chaque pays une période qui peut être représentée par une courbe géométrique. A mesure en effet que la doctrine fondamentale se revêt de formules orthodoxes plus précises et mieux appropriées aux conditions locales, la réaction de la liberté individuelle se manifeste avec une énergie croissante par la contradiction ; les hérésies se produisent pendant toute la période de formation d’une orthodoxie. Quand celle-ci est parvenue à son développement