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travaux de démolition coûteraient trop cher. On laisse donc faire le temps. Muraille après muraille croulera, dans les fossés, qu’envahissent déjà les jardins, et où l’on voit briller, suspendues par paquets au soleil, les gausses rouges et pointues du piment.

Quant au quartier voisin du Danube, il présente un aspect plus étrange et plus morne encore. Au-dessus des mosquées condamnées, quelques minarets s’élèvent blancs et droits ; on s’attendrait, quand le soleil s’abaisse vers l’occident en empourprant la Save, à voir le muezzin apparaître au petit balcon circulaire et à l’entendre lancer son appel sonore vers les quatre côtés de L’horizon. D’autres au contraire sont découronnés, ont perdu leur chapeau de métal et leur pointe élancée. Quant aux maisons, le gouvernement en est devenu maître par les indemnités qu’il a payées aux Turcs expropriés ; il a loué bon nombre des plus petites, à des Juifs, à des Tsiganes ou à des émigrés du Banat. Seuls les konaks des pachas et des effendis n’ont pas trouvé de locataires ; ces grandes maisons restent donc, là toutes délabrées ; bien des fenêtres ont perdu leur châssis, le vent et la pluie entrent librement dans les vastes salles désertes. Ailleurs l’enduit qui couvrait les briques est tombé, et la maison, jadis tout ornée de ces arabesques peintes qu’aiment les Orientaux, montre partout son pauvre squelette. Tout cela fait songer à l’empire turc, qui s’en va de même lambeau par lambeau, et que l’on replâtre parfois, que l’on ne répare jamais.


II

Grâce à sa patriotique persévérance et à l’habileté de ses principaux collaborateurs, MM. Garachanime, Marinovitch, Ristitch, grâce à l’attitude du peuple serbe et au concours de l’Occident, le prince Michel avait réussi à compléter l’œuvre de son père Milosch, et à délivrer des garnisons étrangères le sol de la Serbie. La diplomatie espérait que la remise des forteresses établirait entre le sultan et son vassal des rapports de confiance et désintéresserait pour longtemps la Serbie. C’était une illusion : pour être plus patiente et moins bruyante que celle des Hellènes, l’ambition des Serbes n’est pas moins vaste et moins hardie. Il ne convenait ni au prince ni au peuple, après ce succès, d’en paraître trop contens, de laisser croire à l’Europe qu’ils n’avaient plus rien à désirer ; ils acceptaient la récente concession de la Porte comme un à-compte dont ils voulaient bien se déclarer provisoirement satisfaits.

Il survint bientôt d’ailleurs un incident qui détruisit tout le bon effet qu’avait pu produire l’évacuation : ce fut l’échauffourée qui eut lieu le 20 août 1867, devant Routchouk, à bord du bateau du Lloyd