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la terreur. On peut s’étonner de voir une pareille tâche assignée à des hommes qui étaient censés soumis à une surveillance rigoureuse ; c’est d’abord que ceux de ces condamnés qui étaient d’anciens fonctionnaires ne portaient point de fers ; c’est surtout que le directeur du bagne, Svetozar Nenadovitch, parent de la princesse Kara-Georgevitch, était entré dans la conspiration, et s’arrangeait pour laisser toute liberté de mouvement aux instrumens désignés de l’assassinat. Un des meurtriers, Maritch, raconta devant le tribunal qu’il était souvent resté à souper jusqu’à une heure avancée de la nuit avec Svetozar ; pendant ces veilles, tout en fumant et en buvant le slibovitz, l’eau-de-vie de prunes chère aux Serbes, on discutait les moyens à employer pour frapper le prince, et on escomptait le succès, on se partageait les ministères. Maritch, ancien président d’un tribunal de district, qui avait été condamné en 1867 à vingt années de réclusion pour avoir tué sa femme, prenait la justice ; on faisait espérer l’intérieur à Lioubomir Radovanovitch, autrefois avocat à Valievo, qui, pour avoir produit de faux documens, avait été condamné à sept années de la même peine. Ces misérables pouvaient-ils espérer que le pays, après le premier instant d’effroi, tolérerait de pareils choix, ou que Pierre Kara-Georgevitch, dont on mettait le nom en avant, pourrait songer à les sanctionner ? En réalité, rien n’était moins décidé dans la pensée de Paul que la restauration du fils ou du petit-fils de Kara-George. S’il la présentait comme certaine aux parens et aux créatures de la famille, il tenait un tout autre langage à certains conjurés. « Si j’en fais ainsi, leur disait-il, ce n’est que pour extorquer de l’argent aux Kara-Georgevitch. Mon dessein n’est point de rappeler cette dynastie, car, ajoutait-il, le prince Alexandre et son fils Pierre sont de grands imbéciles, et ni l’un ni l’autre ne conviennent pour régner. Mieux vaut la république. »

On avait d’abord songé à tuer le prince aux eaux ; puis, encouragé par la complicité du directeur de la prison, on s’était décidé pour le kolchoutniak. Ceux qui s’étaient chargés du meurtre épiaient leur victime depuis la fin d’avril ; ils avaient fait à la palissade un trou par lequel ils pénétraient dans le bois sans être vus, et dans l’épaisseur du fourré, à quelques pas du sentier, ils s’étaient ménagé une sorte de repaire où ils déposaient une partie de leurs armes. Le jour où serait frappé le grand coup, Paul, aussitôt averti par un signal, courrait à Belgrade et préviendrait les conjurés ; l’un irait saisir M. Blasnavatz, un autre M. Christitch, un troisième M. Marinovitch ; si ces personnages faisaient mine de résister, on les tuerait. Soulevées par les officiers affiliés au complot, les troupes adhéreraient au mouvement. On nommerait un gouvernement