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Ce grand nombre de condamnations capitales et la manière dont elles furent exécutées, cette hécatombe humaine, ces malheureux pour qui l’horreur de la mort est encore augmentée par l’obligation d’assister au supplice les uns des autres, tout cela, on ne saurait le dissimuler, causa quelque surprise en Occident, et parut un peu sauvage. Cette impression, sans disparaître complètement, s’atténue quand on a passé quelque temps dans ce pays, quand on a causé avec les acteurs et les témoins de ces drames. Tous ceux qui ont été exécutés, vous dit-on, n’étaient-ils pas coupables au même degré ? A qui pardonner ? Était-ce à ceux qui avaient eux-mêmes massacré, mutilé le prince, tué et blessé des femmes ? Était-ce à ce directeur du bagne qui avait comploté l’assassinat et abusé de la confiance du souverain pour lâcher contre lui ses forçats, à ceux qui n’attendaient qu’un signal pour égorger les ministres et déchaîner le pillage sur Belgrade, ou bien à ces officiers qui avaient trempé dans un complot, eux aides-de-camp du prince, quand la non-révélation suffit, d’après le code militaire, pour entraîner la mort ? Après avoir eu sous les yeux tous les débats du procès, on ne voit que deux des condamnes pour qui la régence aurait pu avec quelque raison user du droit de commuer la peine : Sima Nenadovitch, beau-frère du prince Kara-Georgevitch, et qui avait eu un rôle bien effacé, et ce pauvre intendant André Viloïevitch, qui avait supplié son maître de ne pas le mêler au complot, qui n’avait cédé que devant la menace d’être renvoyé.

Les régens eussent-ils été disposés à tenir compte de ces nuances, l’opinion publique, loin de les y encourager, leur en aurait su mauvais gré. On aurait parlé de faiblesse et de trahison. C’est ce qui explique aussi le mode d’exécution adopté. En Occident, l’adoucissement des mœurs et le respect chaque jour plus répandu de la vie humaine ont conduit le jury à ne plus prononcer la peine capitale que dans de très rares circonstances ; l’exécution, quand elle a lieu, est déjà presque partout soustraite aux regards cruels de la foule ; jusqu’au dernier moment, on dissimule au condamné le sort qui l’attend, et on abrège autant que possible ses angoisses. Peut-on demander aux Serbes, qui ne font que d’échapper à la barbarie turque, d’avoir les nerfs aussi sensibles que nos vieilles sociétés civilisées et d’éprouver les mêmes scrupules de conscience devant l’effusion du sang ? Loin d’être choqué d’un spectacle que nous eussions difficilement supporté, le peuple serbe ne crut son prince vengé que quand il eut là, devant lui, liés au poteau fatal, tous les agens et les complices du meurtre.

L’arrêt du 26 juillet, en même temps qu’il atteignait ceux dont nous venons de raconter la fin, frappait de vingt ans de travaux forcés le prince Alexandre Kara-Georgevitch, jugé par contumace.