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maisons meublées de la rue de Rivoli que les taudis de la rue de Venise. On connaît ainsi les entrées et les sorties quotidiennes, et l’on a une idée très nette de cet énorme mouvement de va-et-vient qui se fait dans les auberges parisiennes. Chaque nom, inscrit sur une fiche séparée, est adressé à un bureau administratif qui cataloguant ces bulletins et les rangeant par ordre alphabétique, est toujours prêt à dire si tel individu recherché figure sur la liste des garnis. Une vieille habitude monarchique assez puérile subsiste encore : on dresse une feuille des notabilités arrivées dans la journée, comtes, marquis, hobereaux français et étrangers, généraux, magistrats, et on l’envoie au préfet de police, qui la fait remettre au chef de l’état. On a même établi en 1867 une statistique de toutes les personnes venues à Paris pour voir l’exposition universelle ; on sait entre autres qu’il y eut 59,367 Anglais, 4 Cochinchinois, 43,835 Allemands, 16 Océaniens, 27,386 Belges, 33 Géorgiens, 4,750 personnages titrés, 50,335 propriétaires, 4,289 prêtres catholiques, 320 journalistes, 115 directeurs de postes, 222 armateurs, 501 hommes de lettres et 23 rabbins. Le total, moins élevé qu’on ne le suppose généralement, a été de 582,204, dont 200,346 étrangers[1]. Ce simple aperçu montre avec quel soin méticuleux cette singulière comptabilité est tenue et quel secours elle peut offrir aux investigations de la justice. C’est le service des garnis qui est également chargé de la surveillance des maisons de jeu clandestines. Ici la mission est parfois plus périlleuse ; ces sortes d’expéditions sont peu agréables, et il est rare qu’on n’y reçoive quelque horion, car il n’y a pas d’être plus récalcitrant qu’un joueur surpris et arrêté en flagrant délit. Cette double inspection donne lieu à plus de 20,000 rapports par an. On le comprendra sans peine lorsqu’on saura que la seule surveillance des garnis, au mois de mai dernier, s’exerçait sur 12,628 maisons qui logeaient 160,370 français et 33,127 étrangers. Le chef de ce service est, par fonction, muni des renseignemens qui concernent les étrangers, et l’on peut croire que, s’il n’était discret, il en dirait de belles sur les princes, barons, marquis et autres personnages plaqués de faux titres qui viennent tâter les chances du monde parisien.

Le service des mœurs, dont je ne parle que pour mémoire, fait respecter les règlemens en matière de morale publique. Ses attributions sont complexes et s’attaquent aux objets aussi bien qu’aux individus. Il met hardiment la main au fond des plaies les plus honteuses, et force la prostitution à rester dans l’ornière que les ordonnances lui ont creusée, mais dont elle tâche sans cesse de

  1. Dans ce chiffre ne figurent pas les voyageurs que logèrent les particuliers, et dont le nombre fut très considérable.