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formule avec cette netteté et cette force d’expression qui lui sont propres. « Que les faits soient physiques ou moraux, il n’importe, ils ont toujours des causes ; il y en a pour l’ambition, pour le courage, pour la véracité, comme pour la digestion, pour le mouvement musculaire, pour la chaleur animale. Le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol et le sucre, et toute donnée complexe naît par la rencontre d’autres données plus simples dont elle dépend. Cherchons donc les données simples pour les qualités morales, comme on les cherche pour les qualités physiques[1]. » Et M. Taine explique par un exemple, la musique religieuse protestante, sa formule, fort mal interprétée d’ailleurs par une critique prévenue. La vertu et le vice, dans sa pensée, se produisent non par une sorte de combinaison chimique, mais par un concours de causes morales, d’idées, qui ont leur loi de composition et de succession comme les phénomènes purement physiques. En un mot, M. Taine ne confond point l’ordre moral avec l’ordre physique, comme on le lui a si durement reproché ; il le soumet à des lois analogues, et y applique la méthode des sciences de la nature. Toute œuvre esthétique, comme toute institution politique, est l’expression d’une idée, laquelle vient elle-même d’une autre idée plus générale, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on arrive à l’idée première, à l’élément simple, comme diraient les chimistes, qui constitue le fond de l’être historique.

Ce déterminisme absolu, déjà enseigné par Spinoza, explique les choses, avons-nous dit, sans les qualifier. Une certaine école historique va plus loin encore ; elle croit pouvoir les qualifier en les expliquant par la même méthode. C’est le génie de l’Allemagne, il faut lui rendre cette justice, qui a conçu, développé dans toutes ses conséquences, suivi dans toutes ses applications la théorie dont le plus allemand de tous les philosophes de ce pays a donné la formule métaphysique[2]. Toute réalité est idée ; donc tout ce qui est réel est rationnel : l’histoire n’est qu’une logique concrète et vivante qui va d’idée en idée, d’évolution en évolution, passant par toutes les phases du procès dialectique, sans trouver d’obstacle à son développement nécessaire dans l’initiative plus apparente que réelle des volontés et des passions individuelles. C’est dans cette logique des idées que consiste le mouvement historique vraiment libre, vraiment beau, vraiment bon, que le philosophe sait reconnaître sous les apparences auxquelles s’attachent l’historien proprement dit et le moraliste. Républiques, empires, monarchies, aristocraties, démocraties, liberté et despotisme, civilisation et

  1. Histoire de la littérature anglaise, préface.
  2. Hegel, Philosophie de l’histoire.