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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/219

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que Victor Cousin s’écrie dans un accès de désintéressement national et de libéralisme constitutionnel : « Qui a été le vainqueur ? qui a été le vaincu à Waterloo ? Il n’y a pas eu de vaincus ; les seuls vainqueurs ont été la civilisation européenne et la charte. » Notre génération applaudit toute cette philosophie de l’histoire au milieu d’un auditoire dont les sympathies allaient jusqu’à l’enthousiasme. Les jeunes maîtres eux-mêmes qui déjà nous enseignaient de leur parole et de leur plume, MM. Michelet et Quinet, admiraient avec nous l’organe puissant et inspiré des nouvelles idées sur l’histoire et sur la philosophie, tant on était rassasié alors des lieux communs des historiens moralistes.

Ce ne fut qu’un moment. Avec tous nos grands historiens, le sentiment du droit reprit son empire dans l’histoire comme dans la politique. On garda de la nouvelle méthode historique ce qu’elle a de bon et de fécond ; on continua d’expliquer les faits en faisant la part des causes indépendantes de la volonté et de la personnalité humaine, mais sans vouloir les justifier en leur appliquant la mesure du succès. La philosophie de l’histoire eut encore ses théoriciens absolus, comme Buchez et Louis Blanc, qui purent croire, par une illusion logique, à la nécessité et à la moralité supérieure de certains actes réprouvés par la conscience publique. Ainsi on a pu trouver que ce dernier écrivain professe une admiration excessive pour tels acteurs du drame révolutionnaire qu’il identifie presque avec les idées d’égalité et de fraternité qui lui sont chères à juste titre ; mais qui l’accusera de professer le culte du succès quand on le voit rester si fidèle aux causes vaincues ? Si bien instruit qu’il soit des faits, on peut lui reprocher de juger les personnes et les choses en homme d’école plutôt qu’en historien ; mais on lui rendra cette justice que sa mesure de jugement n’a rien de commun ni avec la morale du succès, ni même avec la morale de l’utile.

La doctrine de la moralité du succès n’est pas française, on peut le dire, malgré de très rares exceptions. Nous ne lui savons que deux adeptes bien connus qui l’aient professée, non dans une improvisation rapide, mais dans des œuvres laborieusement méditées, l’éminent jurisconsulte que la mort vient d’enlever à la présidence du sénat, et le prince auteur d’une récente Histoire de César. Se seraient-ils souvenus que Victor Cousin avait eu le malheur de dire un jour, à propos de César, que toute démocratie veut un maître, n’est-ce point plutôt de la science allemande que leur est venue la théorie des hommes providentiels ? En y regardant de près pourtant, si la doctrine de la moralité de la victoire a trouvé si peu d’échos chez nous, il n’en est pas tout à fait de même d’un certain optimisme qui, sans aller aussi loin, accepte et justifie généralement les grands événemens et les grandes institutions du passé avec la