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du savant proprement dit. Si ce n’est point en étudiant les lois de la nature et en contemplant l’infinie grandeur, l’universelle harmonie du cosmos, que l’on contracte le goût des choses morales et politiques, la connaissance des lois historiques et la contemplation philosophique de l’histoire universelle ne sont pas non plus très propres à nous intéresser, comme acteurs, aux événement. Il est certain que, sur les grands théâtres où se fait l’histoire moderne, l’homme semble bien petit, bien faible, bien impuissant, devant ces forces de toute espèce, physiques, physiologiques, économiques, sociales, qui ont une action si générale, si irrésistible par leur permanence et leur continuité même. Et alors pourquoi s’agiter, quand c’est la force des choses qui mène tout ? Pourquoi venir jeter sa destinée individuelle dans le courant de passions, de préjugés, d’instincts, de nécessités, qui doivent tout entraîner ? N’est-ce pas se mettre ridiculement en travers d’un torrent, à la manière d’un don Quichotte ? La conscience est là, dira-t-on, pour vous commander l’action. « Fais ce que dois, advienne que pourra. » Sans doute cela suffit pour décider l’homme qui a une conscience à faire son devoir partout et toujours, dans les affaires de la vie publique comme dans celles de la vie privée ; mais quelle ardeur, quelle passion conservera-.t-il dans ce rôle de pure protestation ? Pour aimer l’action, pour s’y mettre tout entier, l’homme a besoin de croire à un résultat de cette action ; il entend faire une œuvre efficace dans la mesure de ses facultés et de ses forces. Il lui répugne d’imiter ces moines du désert qui, travaillant pour obéir à la règle, arrosaient tout le jour un bâton planté dans le sable.

Tout autre est notre conclusion sur ce point. La science, en montrant l’empire de la fatalité dans le développement historique de l’humanité, fait voir aussi le progrès qui tend à substituer de plus en plus l’action des forces vraiment morales, des sentimens et des idées, à l’action de ces forces aveugles qu’on nomme les instincts de la race, les appétits et les besoins de la classe. Tout peuple a commencé par être une société naturelle, dans le sens matériel du mot, pour devenir une société politique, dont les membres fussent de plus en plus de vrais citoyens, ayant des idées et des volontés au lieu d’instincts et de passions. Dans ces nouvelles conditions de la vie nationale, chaque individu trouve sa place et son rôle. Au lieu de forces brutales qui l’écrasent de leur poids, il rencontre des volontés, des intelligences comme la sienne, avec lesquelles il lui faut compter, il est vrai, mais sur lesquelles il peut toujours agir par la parole, par l’exemple, tantôt pour les retenir, tantôt pour les entraîner. Avec cette vaste démocratie de plus en plus libérale et intelligente, toujours accessible, même dans les jours de crise, à l’action des sentimens et des idées, la dictature,