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déplorer le fait au nom de la dignité humaine, la nouvelle l’explique de manière à faire voir que, l’état de la Grèce étant donné au temps de Philippe et d’Alexandre, les choses ne pouvaient se passer autrement, quels que fussent le talent et le patriotisme de quelques bons citoyens. Fatalité ! mais qui osera dire que cette transition de la liberté républicaine au despotisme monarchique fût autre chose qu’un mal inévitable ? A qui objecterait qu’Alexandre n’a pu conquérir l’Orient qu’avec la Grèce asservie, ne peut-on pas répondre que cette conquête eût été autrement féconde, si elle eût pu être faite par une Grèce libre et glorieuse ? Malgré Cicéron, Caton et Brutus, la république romaine tombe entre les mains des maîtres qui en font l’empire. Voilà encore une fatalité que nos historiens excellent à expliquer en montrant comment Rome ne pouvait ni conserver les mœurs de la république avec les dépouilles du monde soumis, ni gouverner et administrer sa conquête par un sénat libre devant l’institution militaire qui avait fait cette conquête et devenait de plus en plus nécessaire pour la maintenir ; mais qu’est-ce que cette fatalité a de commun avec l’avènement de la véritable démocratie ? L’histoire de l’empire est là pour le dire. Le moraliste qui voit par quels moyens un roi comme Louis XI travaille à l’établissement de la monarchie et à la constitution de la patrie française ne peut être que saisi d’horreur et de dégoût. Le savant qui se rend compte des nécessités de l’époque remarque judicieusement que la politique de Louis XI était celle de tous les princes de son temps. Encore la fatalité ; mais cela fait-il qu’une telle politique ne soit point en complète contradiction avec l’ordre moral ? Dans l’histoire des guerres de religion qui ont désolé la France au XVIe siècle, si l’on se rend bien compte du fanatisme des sectes religieuses, des passions populaires, des intérêts politiques engagés dans la lutte, on parvient à comprendre comment la Saint-Barthélémy n’est point sortie tout entière du cabinet d’une Catherine de Médicis, abusant de la signature d’un Charles IX. Il y a là évidemment un concours de causes supérieures à la volonté des bourreaux et des victimes. Cependant, quand il serait vrai que cette fatale journée a été un mal inévitable, en est-elle moins un des plus affreux attentats qui aient jamais été commis contre l’humanité ? Enfin où trouver autre part que dans l’histoire de notre grande révolution un plus décisif exemple de fatalité ? Tout y commence par les plus nobles sentimens, les plus saines idées, les plus justes espérances, les plus sages résolutions ; puis les obstacles se multiplient, les dangers de la patrie deviennent de plus en plus menaçans, les passions s’exaltent, la foi naïve se change en une sombre défiance, l’enthousiasme tourne à la fureur ; bref, la révolution en arrive à une de ces crises suprêmes qui commandent les mesures violentes de salut public à