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de Berlin tous ces représentans de l’Allemagne un instant confondus à l’ombre du drapeau prussien, le roi Guillaume vient de faire un brillant voyage ; il est allé à Brème, à Oldenbourg, en Hanovre, dans la Frise orientale, à Emden, à Osnabrück ; il a visité les côtes prussiennes, ces côtes qui s’étendent maintenant, comme on le dit avec un complaisant orgueil, de Borkum à Memel ; il a inauguré le port de Heppens, qui, sous le nom de Wilhenshafen, devient le premier port militaire de l’Allemagne nouvelle, et ce n’est qu’au retour de ce voyage que le souverain prussien a congédié le parlement fédéral et le parlement douanier par deux discours qui évitent de réveiller les grandes questions politiques. Il a trouvé partout un réjouissant accueil, le bon roi Guillaume, partout, excepté dans le Hanovre, qui n’est pas encore prussien, à ce qu’il paraît ; les paroles qu’il a semées sur son passage sont des plus pacifiques, on y sent la satisfaction des conquêtes accomplies et l’envie de les garder bien plus que la passion d’aller en avant et le besoin de remonter à cheval pour tenter un autre Sadowa. « Tout n’est point encore terminé, a dit le roi au bourgmestre de Brème, tous les désirs ne sont pas satisfaits ; mais la génération future recueillera les fruits qui ont été semés, et achèvera l’édifice dont nous avons posé les fondemens… » Bref, le roi trouve qu’il a fait assez de chemin, et il n’est pas pressé de pousser plus loin l’aventure ; il voudrait s’en tenir là, réserver l’avenir, ne rien risquer du présent, contenter tout le monde, et on ne peut certes mettre en doute la sincérité de ses sentimens de conciliation. Malheureusement on ne reste pas toujours maître, comme on le voudrait, de ces situations violentes créées par un coup d’état de la conquête. Le souverain prussien le disait lui-même dans une de ses harangues de voyage, « les membres qu’unit la nouvelle confédération auront plus d’une fois à souffrir de la transition. » Joignez à ces embarras intimes de la nouvelle confédération la difficulté de combiner les rapports du nord avec le sud, les complications extérieures toujours prêtes à naître. La vérité est qu’à travers tout, aujourd’hui comme hier et après comme avant les déclarations royales, l’Allemagne se trouve suspendue entre l’impossibilité de rester dans l’état où elle est et le danger de se heurter contre de redoutables obstacles, si elle va plus loin.

On se figure à Berlin que nous mettons de l’animosité et de l’aigreur dans ce que nous disons quelquefois des affaires allemandes. C’est une étrange confusion ; nous tenons l’Allemagne pour une grande nation, le roi Guillaume pour un souverain patriote dont un sourire de la fortune a illuminé les vieux jours, et M. de Bismarck lui-même pour un ministre hardi qui a été assez heureux ou assez habile pour « saisir l’occasion aux cheveux, » comme le lui conseillait du fond des caveaux de Potsdam l’ombre de Frédéric II. Nous ne contestons nullement aux populations germaniques le droit de se constituer selon leurs aspirations et leurs vœux. Il n’est pas moins certain que la politique prussienne, par l’âpreté