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quatre-vingts ans, pensa même à émigrer, à chercher une autre terre pour y déposer « ses os et ses dieux ! » Il ramassa cependant ce qui lui restait de son armée pour attaquer sa ville héréditaire, la place de Troki, et là ce ne fut point la bravoure de Jagello, ce fut son astuce qui triompha du dernier défenseur du paganisme lithuanien. Maître du pays, le jeune grand-duc sévit cruellement contre la famille et les amis de son oncle. Witold dut se réfugier à l’étranger ; sa mère Biruta, l’ancienne prêtresse, la femme si aimée du fils de Gédimin, fut noyée ; le père de Biruta, son frère, ainsi que plus d’un boyar demeuré fidèle à la cause de Keystut, subirent le dernier supplice. Quant à Keystut lui-même, amené chargé de chaînes à la forteresse de Krewa, après quelques jours il y fut trouvé étranglé, et Jagello n’a jamais pu complètement se laver du reproche d’avoir ordonné un meurtre qui servait si bien ses desseins ambitieux.

Tels furent les débuts de cet homme extraordinaire qui plus tard, dans la journée de Grunwalden, devait étonner le monde par une élévation d’âme et une humilité chrétienne admirables !… Dès ce moment toutefois, le jeune fils d’Olgerd comprit la situation et eut sa pensée politique, une vraie pensée de génie. Il comprit que la Lithuanie devait cesser d’être païenne ; il comprit aussi que, pour être chrétienne sans devenir la proie de l’ordre teutonique, elle devait chercher son appui auprès d’une puissance slave, civilisée et libre. Il agit en conséquence, et, à peine raffermi sur le trône ensanglanté de Gédimin, il envoyait une ambassade à Cracovie. Il demandait la main de la jeune reine Hedvige ; à ce prix, il promettait de convertir son pays à la foi catholique et de le réunir au royaume de Pologne.


II

« Allemans de nature sont rudes et de gros engin, si ce n’est à prendre leur proffit ; mais à ce sont-ils assez experts et habiles ; item moult convoiteux et plus que nulles autres gens, jà ne tiendroient rien de choses qu’ils eussent promis ; telles gens valent pis que Sarazins ne payens… » Ainsi parlait Froissart vers la fin du XIVe siècle, et une expérience toute récente et douloureuse, l’inique démembrement de la vieille monarchie danoise, n’est pas venue trop infirmer de nos jours le jugement porté par le bon chroniqueur français. Il fut curieux en effet le « réveil » de l’Allemagne moderne, de l’Allemagne « nationale-libérale ! » Comme l’a si bien dit un document demeuré célèbre, a sa première pensée a été une pensée d’extension injuste, son premier cri un cri de guerre[1]. »

  1. Dépêche circulaire du comte Nesselrode à ses agens en Allemagne, 6 juillet 1848.