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écrasante, vers la domination universelle, la Germanie avait déjà commencé à fortement entamer les trois derniers états indépendana du far-est, la Hongrie, la Pologne et la Lithuanie. Un document curieux de ces temps et qui nous a été conservé, une lettre des « prélats, barons et seigneurs du royaume de Hongrie aux prélats, seigneurs et nobles de la couronne de Pologne » retrace avec naïveté et vigueur les empiétemens, les violences et les rapines des « Teutons » dans la monarchie de saint Étienne en appelant le jugement du monde sur des iniquités « que tout le monde connaît. » Dès le XIIe siècle d’ailleurs, un successeur de saint Étienne écrivait à un descendant de Boleslas le Grand ces paroles caractéristiques : « la sauterelle tudesque, après avoir mangé les vignes hongroises, viendra ensuite s’abattre sur les champs léchites, » — et cette prédiction n’avait pas tardé à se réaliser. Depuis lors, la Pologne s’est vu ravir successivement une province riche et précieuse après l’autre : la Silésie, la Poméranie, les terres de Dobrzyn et de Michalow. « L’aune et la balance » des Teutons ne se montrèrent pas moins actives et « providentielles » que leur épée ; leurs marchands, leurs trafiquans et colons affluaient par milliers dans les pays magyars et polaques ; ils s’y cramponnaient, s’y « nichaient, » avec la ténacité placide qui les a distingués de tout temps : Bude et Cracovie, les capitales des deux pays, passaient alors pour des villes déjà plus qu’à moitié germanisées. Une ingénieuse combinaison matrimoniale, préparée de longue date, devait maintenant venir couronner l’œuvre et combler les vœux de la Germania semper augusta. Des deux filles du roi Louis d’Anjou, dont l’une était appelée à régner à Bude et l’autre à Cracovie, l’aînée, Marie, était fiancée au margrave Sigismond, de la maison du Luxembourg ; Hedvige, la cadette, était promise au duc Guillaume, de la maison d’Autriche. Le royaume d’Arpad, le royaume de Piast, allaient donc avoir à leur tour des dynasties allemandes à l’instar du royaume de Bohême : le saint-empire poussait ses marches jusqu’au-delà de la Theiss et de la Vistule.

Non moins brillantes et radieuses étaient les perspectives du côté du Niémen. Sur les bords de ce fleuve, les chevaliers teutoniques préparaient à l’empire une acquisition importante ; ils la préparaient lentement, depuis bientôt cent cinquante ans, et en exploitant avec beaucoup d’industrie ce qui restait encore en Europe d’esprit romanesque : ils offraient à cet esprit les émotions et les mirages d’une croisade factice. Dans ce coin des « fils de Baal, » la Germanie s’était ménagé en effet une petite terre-sainte, selon les besoins du siècle et tout à sa portée ; on pouvait y aller combattre les « infidèles » sans trop de fatigues et avec des profits certains. Deux fois par an, aux mois de février et d’août, — à l’approche des