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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/305

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qu’en découvrant les racines qu’elles ont dans le passé. Nous essayerons ici de prendre quelques traits dans ce récit à la fois précis et abondant, et de marquer par quelques jalons la route suivie depuis Lavoisier jusqu’à nos jours.


I

La chimie date de Lavoisier. Il n’y a pas d’autre exemple d’une science qui ait été si complètement créée par un seul homme. Sans doute la chimie avait fait avant lui d’utiles découvertes ; mais elles se sont comme effacées en entrant dans le cadre nouveau qu’il a ouvert. C’est en déterminant la véritable nature de la combustion que Lavoisier renouvela ainsi la science. Il eut à détruire la théorie du phlogistique, que Stahl avait fondée en Allemagne dans les premières années du XVIIIe siècle. Dans cette théorie, on regardait un métal comme formé d’une chaux métallique et d’un principe spécial ou phlogistique qui pouvait en être séparé par la chaleur. Le phénomène du feu était considéré comme un puissant dégagement de phlogistique. On pouvait d’ailleurs, disait-on, rendre aux métaux le phlogistique qu’ils avaient perdu, et il suffisait pour cela de les chauffer avec une substance abondamment pourvue de ce principe, comme le charbon, le bois, l’huile. Ainsi, en calcinant le plomb à l’air, on obtenait une poudre jaune, la litharge, qui était la chaux métallique séparée de son phlogistique, et, si on chauffait ensuite cette litharge avec du charbon en poussière, le phlogistique du charbon s’unissait à la chaux pour revivifier le plomb. Dans cette doctrine, les phénomènes étaient pris à contre-pied, et Lavoisier obtint sa première victoire en montrant qu’il se passait précisément le contraire de ce qu’on croyait. Le métal en se calcinant, au lieu de perdre une partie de lui-même, attire à lui et fixe un des élémens de l’air, et la revivification du métal a lieu précisément quand on élimine cet élément aériforme.

Pour mettre ces faits en évidence, il suffit à Lavoisier d’une balance exacte. Il pesa les corps froids et calcinés, et il vit clairement l’augmentation de poids qui résulte de la calcination. Supposer que les élémens de la matière conservent leur poids au milieu des modifications qu’ils peuvent subir était une vue ingénieuse, y trouver le principe d’une méthode générale de recherche était un trait de génie. Les anciens chimistes s’étaient bien à l’occasion servis de la balance ; mais ils l’avaient considérée comme un instrument secondaire et n’avaient pas su en tirer parti. Robert Boyle avait reconnu que les métaux augmentent de poids par la calcination ; il avait attribué ce phénomène à la chaleur qu’ils absorbent. Stahl