Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

carapace pesante, ces esclaves surent mourir aussi bravement que s’ils entendaient les applaudissemens de cinquante mille spectateurs penchés vers l’arène.

Une autre mort est nécessaire pour clore le drame. Othon a joué, il a perdu, il faut qu’il paie ; il se tue. Aussitôt un miracle s’opère. Le débauché, qui n’avait pu affronter le danger, l’efféminé qui s’enfermait quand le sang coulait à flots pour lui, le lâche qui affaiblissait son parti en se faisant garder par l’élite des troupes, l’assassin de Galba qui n’avait pas su purifier par son courage le pouvoir qu’il avait acquis par un crime, se transforme en héros. Il devient un héros, parce qu’il s’est tué ; il est un héros pour ses contemporains, un héros pour la postérité, un héros pour Plutarque, qui raconte sa mort et qui a la générosité de renoncer à ses parallèles favoris, car il aurait pu donner comme pendant à la mort d’Othon la mort de Caton d’Utique !

L’histoire a de coupables complaisances pour les audacieux qui triomphent du droit, d’étranges pardons pour les vicieux qui jettent quelque éclat ou disparaissent avec grâce. L’apothéose d’Othon est une de ces absurdités contre lesquelles il faut énergiquement protester ; le jugement des hommes, facile à surprendre, semble faire du trépas inévitable de ce prince au cœur d’eunuque un modèle de fermeté et un objet d’émulation pour la jeunesse. Pour estimer sainement la valeur d’un tel acte, il convient d’abord de se détacher des idées modernes. Le suicide, que nous réprouvons chez les particuliers, nous plaît d’ordinaire dans la tragédie et dans l’histoire, précisément parce qu’il n’est plus dans nos mœurs. S’enfoncer un morceau de fer sous la mamelle gauche nous paraît chose indigne d’un homme ; si cet homme est notre voisin, et chose digne de l’immortalité, si le personnage est né avant l’ère chrétienne. Notre aversion pour ce coup de désespoir dans la vie familière nous dispose à une admiration d’autant plus naïve, dès que nous la rencontrons dans la vie idéale que nous prêtons au passé. En réalité, le suicide était l’action la plus simple chez les Romains et la plus fréquente sous l’empire. Mépriser la mort était la leçon de tous les jours, se la donner une solution prévue, expirer en souriant une marque de bonne éducation. Des centaines de sénateurs, des milliers de chevaliers, s’étaient ouvert les veines au premier ordre des césars : sur un signe, les gladiateurs s’entre-tuaient dans l’amphithéâtre, les esclaves se précipitaient dans la piscine des murènes, les sages eus : -mêmes hâtaient leur fin pour échapper au régime impérial, et l’apparition d’un centurion au seuil de leur demeure suffisait pour provoquer l’effort suprême de l’affranchissement. Non-seulement les stoïciens bravaient le trépas avec sérénité, non-seulement des femmes et des jeunes filles voulaient périr