Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amphithéâtres, par exemple celui de Crémone. L’Italie s’épuisait comme s’était épuisé le sud de la Gaule, où le souvenir du passage de ce gourmand gigantesque semble avoir créé le type légendaire de Gargantua. Il fallut que le frère de Vitellius et l’affranchi Asiaticus vinssent arracher le maître du monde aux orgies perpétuelles qui constituaient pour lui tout le triomphe, pour le montrer enfin aux Romains, qui ne le connaissaient que trop. Le moment est venu de chercher nous-mêmes à le mieux connaître.

Vitellius était d’une grandeur démesurée et paraissait énorme. Son gros ventre était mal soutenu par des jambes d’inégale faiblesse ; une chute de char sous Caligula l’avait estropié. Son visage était rouge, bourgeonné par l’abus du vin. Sa tête, d’après les monnaies d’or et d’argent, qui doivent être sincères parce qu’elles ont été frappées vite, sa tête était ronde, son front contracté, proéminent vers le centre, hérissé de gros sourcils, son oreille large et lourde, ses cheveux ras ; son cou rebondi formait plusieurs étages de graisse. Les bronzes de grand module, qui ont été gravés à loisir par d’habiles artistes, ont ennobli ce type et lui ont prêté quelque chose d’idéal ; mais sur les monnaies courantes la matière domine, l’expression est bestiale, ou plutôt il n’y a pas d’expression. Du reste autant la numismatique des empereurs ajoute à l’histoire par ses dates et par ses types, autant elle trahit de flatterie dans ses légendes et de mensonge dans ses symboles, Les revers des médailles de Vitellius en sont un des exemples les plus plaisans, car ils contredisent les faits comme une ironie. On y exalte « la clémence de l’auguste germanique, » quand il frappe tous ceux que ses favoris lui désignent, « la justice d’auguste, » quand il proscrit ses créanciers, s’ils osent réclamer ce qu’il leur doit, a la concorde du peuple romain, » quand on s’égorge dans les faubourgs de Rome, « la concorde des prétoriens, » qu’on a décimés, qui pillent l’Italie et dont on veut reformer les cohortes, « la concorde des armées, » quand elles accourent des extrémités du monde pour se heurter avec furie, « la liberté restaurée, » quand il n’y a d’autre loi que celle du glaive, « la sécurité publique, » quand tous les citoyens tremblent derrière leurs portes, tandis que 70,000 conquérans parcourent les rues et ne veulent plus partir. Les vérités officielles, dans tous les temps de despotisme, ont le même caractère.

L’art a de grands privilèges : il embellit les souverains comme les particuliers sans qu’on s’en défie. La sculpture a plus fait que l’histoire pour rendre éternelle l’image des douze premiers césars. Toutefois Vitellius a profité si outrageusement des complaisances du ciseau que certains critiques ont contesté l’authenticité de ses bustes. Deux bustes surtout sont dignes d’attention : ils sont