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dictateur en retraite. Si la dictature de nos jours ne peut plus être commodément abdiquée, la première conséquence à tirer, selon nous, de ce fait, c’est que pour les individus il faut se garder de prendre la dictature, puisqu’elle est si malaisée à quitter, — que, pour les peuples, il faut se garder aussi de la donner à personne, puisqu’elle est si difficile à reprendre. Cette difficulté amène souvent des révolutions, si le dictateur conteste et le peuple soumis à la dictature ne s’entendent pas pour éviter la révolution à l’aide de la réforme.

Les esprits violens diront qu’une réforme substituée à une dictature ou à une révolution est une inconséquence pour le dictateur qui se laisse réformer, et pour le peuple qui perd le pouvoir et le droit de tout renverser. L’homme d’état n’est plus immuable, les hommes de parti ne sont plus irréconciliables. Inconséquence et contradiction, soit ; mais pour un chef de gouvernement et pour une nation une inconséquence vaut mieux qu’une révolution.

Il y a une vérité éclatante qui sort du plus simple coup d’œil jeté sur l’histoire de notre siècle : c’est le siècle des révolutions, parce que ç’a été le siècle des dictatures. La dictature du 18 brumaire fut faite avec beaucoup d’à-propos et de popularité ; elle fut un à-propos anti-révolutionnaire, non point contre-révolutionnaire, et cette dictature, fut jusqu’à l’empire exercée avec habileté, sauf le meurtre du duc d’Enghien, qui fut un crime odieux et inutile. Avec l’empire, la dictature de brumaire devint violente, capricieuse, et, comme la désaffection commençait, l’empire la combattit par des duretés qui l’augmentèrent. — La dictature de 1830 fut une entreprise qui dura trois jours, le temps d’être vaincue et détruite. En 1868, point de dictature, sinon dans la révolution qui détruisit la monarchie parlementaire sous le soupçon que cette monarchie visait au gouvernement personnel, tant la France craint le gouvernement personnel et même en craint l’ombre ! La France accepte tantôt la dictature avec enthousiasme, comme en 1799, ou elle y acquiesce volontiers, comme en 1851 ; mais ce qu’elle n’a jamais accepté, c’est la conversion régulière et durable de la dictature en gouvernement personnel, de l’expédient en système. Quand elle voit le dictateur temporaire se faire despote viager et héréditaire, elle le supporte et le soutient encore pendant quelque temps, comme elle a fait sous le premier empire, attendant toujours de lui cette paix triomphante qui devait venger la France des attaques faites par l’Europe en 1792 contre notre indépendance nationale ; mais à mesure que cet espoir s’évanouit, sans que rien nous rende ni la paix de Bâle ; (5 avril 1795), ni la paix de Lunéville (9 février 1801), ni la paix d’Amiens (25 mars 1802), à mesure qu’arrivent les revers provoqués par l’obstination ambitieuse de Napoléon Ier, la France se détache de