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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/390

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mieux par ses défauts que par ses qualités, le roi Louis-Philippe a eu ce bizarre malheur, que ni ses qualités ni ses défauts n’ont eu le succès qu’ils devaient avoir. Je passe condamnation sur ses qualités. Il respectait profondément la vie humaine, il aimait la paix, il croyait aux droits de la liberté, et, comme dans son gouvernement il préférait pour lui-même l’influence au commandement absolu, il inclinait à employer partout le raisonnement plutôt que la force. Sous tous ces rapports, il était essentiellement un homme du XVIIIe siècle. Ce sont là des qualités qui peuvent aider au bonheur des peuples, mais ce ne sont pas les qualités saillantes et bruyantes qui frappent leur imagination. Laissons donc les qualités de côté et venons aux défauts. C’est là surtout que je trouve le roi Louis-Philippe malheureux ; il avait les défauts qui pouvaient le rendre populaire, on lui a attribué les défauts contraires. Il était prodigue et grand dépensier ; on a dit qu’il était avare, et on l’a cru. Pourquoi cela ? Il avait le goût de la comptabilité et non celui de l’économie. La dépense l’attirait de tous les côtés et lui plaisait : fêtes, bâtimens, jardins, plantations ; mais le désordre l’effrayait et le choquait. Il fallait que les comptes fussent bien tenus, les devis bien faits et les mémoires bien réglés. Son exactitude de financier lui cachait à lui-même sa prodigalité et surtout la cachait au public. C’était là le mal. M. Guizot parle avec raison de l’intarissable fécondité, de la vivacité et même de l’intempérance de sa conversation ; on en a fait un prince qui calculait toutes ses paroles, un roi cauteleux et rusé. Comme il parlait beaucoup et se démentait quelquefois, on prenait ses démentis pour la preuve de ses faussetés. C’est souvent dans le monde un moyen de succès d’être imprudent en paroles, prompt aux épanchemens, et d’avoir pourtant beaucoup de sagesse et de mesure dans sa conduite. Une sagesse silencieuse et réservée inspire la défiance ; la sagesse du roi Louis-Philippe n’était pas de ce genre ; il ne trouvait la sienne que par réflexion. Les premiers momens appartenaient à l’expansion et à l’impétuosité des pensées et des sentimens. Ainsi encadrée dans le défaut contraire, la sagesse du roi Louis-Philippe aurait dû lui réussir comme elle a réussi à je ne sais combien de personnes. Malheureusement au défaut du roi Louis-Philippe, c’est-à-dire à son besoin d’expansion, il manquait la petite dose de calcul et d’art nécessaire aux défauts qui veulent réussir ou servir au succès d’une qualité dans le monde. C’est ainsi que dans le sujet même que nous traitons, c’est-à-dire dans le goût de domination qu’où attribuait au roi Louis-Philippe, ce qu’il disait au premier moment nuisait à ce qu’il faisait à la fin, parce que, se ravisant à mesure qu’il parlait, la dernière pensée démentait parfois la première, et on l’accusait de mensonge quand il n’avait fait que se corriger. Nous