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glaciale, — on dirait le soupir plaintif des siècles qui meurent, — siffle à travers le bois sacré. La foule attend anxieuse, haletante, et ses lèvres crispées envoient une question muette aux « divinités. » Tout à coup la clochette du sacristain retentit au loin ; un nuage d’encens se lève au-dessus d’une procession qui avance en chantant des hymnes, et monte lentement la pente escarpée de la colline. A la tête marche le roi, entouré des princes du pays et des grands seigneurs de l’étranger ; puis vient le grand-prêtre de l’étranger en costume d’or, la tiare au front, la crosse dans la main, et derrière lui se pressent des moines franciscains. Le cortège fait le tour du temple, resté jusque-là à l’abri de toute souillure. Soudain des moines zélés saisissent des haches, d’autres s’emparent de vases remplis d’eau ; sous leurs coups impies, l’image de bois du dieu du feu éclate en morceaux, un torrent sifflant éteint la flamme gardée pendant tant de générations ; les vieux chênes tombent et couvrent dans leur chute la honte d’une superstition pieuse qui a duré pendant des siècles ! Perkunos, où sont tes foudres ? Et toi, Znicz, comment te trouves-tu tout à coup impuissant à venger l’injure qui vient d’être faite à tes autels et à tes croyans ? Un silence de mort règne à l’entour, un vent d’orage mugit seul sur le sanctuaire dévasté, et une douleur profonde saisit les cœurs qui ont adoré ces dieux et s’étaient confiés dans leur force. Là où il y a un instant à peine se tenait debout le faux dieu, une croix vient s’implanter, sur laquelle on voit la figure de celui qui, disait le roi, « est venu annoncer le salut aux cœurs brisés et abattus, rendre la liberté aux captifs, et donner la consolation à tous. » Et plus fort que les mugissemens de la tempête retentit le Te Deum des moines triomphans… Tout un monde de croyances fantastiques a croulé et est enseveli ; une foi nouvelle doit le remplacer, et sur les ruines du temple de Znicz Jagello met ce jour même les premiers fondemens de la cathédrale catholique de Wilno, où tant de générations viendront dans la suite porter leurs joies et leurs douleurs à Jésus, fils de Marie[1]… »


Que dans ces conversions en masse, dans cette refonte religieuse de toute une génération ainsi poussée au baptême, il dût y avoir une bonne part d’alliage, on ne peut guère en douter. Autre ne fut pas le triomphe du christianisme chez les Francs, chez les Normands, dans bien des pays de l’Europe, et quiconque sait lire trouvera dans l’histoire même des missions contemporaines maint exemple de ce tribut payé à notre fragile humanité. Parmi ces milliers de nouveaux croyans qui sur les bords du Niémen acclamaient si docilement la doctrine du maître, une rare élite évidemment en avait pu pénétrer les dogmes profonds et la morale sublime. Les multitudes raisonnent aussi peu leurs conversions que leurs

  1. Julius Caro, Geschichte Polen’s, III, 30-36.