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l’art humain, deviendront à leur tour des ancêtres. Ils légueront à ceux qui les suivent des traditions.

Pour la sculpture et l’architecture, les conditions sont plus difficiles et les obstacles plus nombreux. Les Grecs même, quel que fût le génie de leur race, ont commencé péniblement. La sculpture reste longtemps au début pauvre et insuffisante chez les peuples les mieux doués. Ici la passion et le génie ne sont presque rien sans la science. Pour l’architecture, là où l’enseignement supérieur des beaux-arts n’existe pas, ne manquent cependant ni les ingénieurs savans capables d’élever de solides constructions et d’apprécier avec certitude la résistance de leurs matériaux, ni les inventeurs de formes nouvelles ; mais ces formes, ne se rattachant à rien de ce que nos regards sont accoutumés à voir et n’étant pas la résultante harmonieuse des exigences auxquelles le constructeur doit satisfaire et des ressources dont il dispose, ne font que surprendre le goût en choquant les yeux. D’ailleurs, avant qu’un peuple n’ait atteint le point de civilisation matérielle ou intellectuelle qu’il a en vue, il a peu de souci de ce luxe de l’art, le plus sain et le plus raffiné de tous. Les tableaux, les vases, les bronzes, les statues, sont à peine un objet de désir tant que l’étape déterminée n’est pas franchie. On a d’autres luxes non moins coûteux, mais plus appréciés, celui des armes, des domestiques, des théâtres, des danses, des fêtes, du costume, ou, si la race a une imagination moins chaude et moins mobile, celui du culte, celui d’une littérature, celui d’une science naissante. Les peintres traversent la mer et viennent demander à la France ou à l’Italie l’observation des objets qui doivent les amener à connaître le beau, les notions pratiques dont la possession leur est nécessaire.

L’ancienne Amérique espagnole a eu autrefois des artistes venus de la mère-patrie, et qui se sont fixés chez elle. Ils n’y ont pas fait école. Elle n’a pas d’art qui lui appartienne, pas plus que les Américains du nord. Ceux-ci, ayant achevé la prise de possession de leur sol et l’aménagement de leur territoire, revendiqueront sans doute le domaine de l’art. Riches dès aujourd’hui des produits de leur agriculture, de leur industrie, de leurs mines d’huile, de houille, de fer et d’or, ils ont en main ce qu’il faut pour acquérir les trésors qui ne sont pas immobilisés dans les musées de l’Europe. Ils nous enlèvent déjà au feu des enchères bon nombre d’excellens tableaux. Quand ils auront fait provision de beaux modèles et affiné leur goût à les étudier, ils pourront tenter la fortune et s’adonner à produire des œuvres originales. Ils ont assez de ténacité et de hardiesse pour mener à bien cette entreprise, plus difficile que toutes celles où ils se sont essayés jusqu’à présent.