Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur exaspération, ils l’ont révélé eux-mêmes par la bouche de leurs principaux orateurs. L’un, M. de Fitz-James, rappelle que les anciennes familles possèdent dans leur sphère une prépondérance « d’autant plus facile qu’elle s’exerce sur des hommes simples et isolés ; » un autre, le marquis de Rougé, insiste sur le rôle que peuvent jouer dans chaque département « un certain nombre d’hommes à qui de grandes propriétés, des places à la cour, des services rendus, quelquefois un mérite transcendant, donneront de l’influence. » Le marquis de Raigecourt, allant droit au but, demande que l’on organise des bourgs pourris, à l’exemple de ceux qui fonctionnaient alors au profit de l’aristocratie anglaise. Tous sont d’accord pour déclarer qu’en définitive les procédés du premier empire, adaptés au régime nouveau, seraient l’idéal du système.

A coup sûr, une loi qui limitait le nombre des électeurs à 100,000 en exigeant d’eux un cens de 300 francs, et qui ne tenait pour éligibles que de grands propriétaires fonciers payant au moins 1,000 francs d’impôts, n’était pas de nature à contenter le parti libéral ; mais il fallait faire contre-poids aux efforts des ultra-royalistes et défendre la charte contre ses ennemis. L’opposition offrit un point d’appui au gouvernement royal, dont le projet fut adopté. Alors la réaction féodale persuade au pouvoir que le corps électoral ainsi composé contient encore trop d’élémens progressistes : on imagine le double vote, c’est-à-dire que le quart des électeurs, choisi parmi les plus imposés, obtient le privilège de voter deux fois. Cette conception inouïe confère la prépondérance à cette classe des grands propriétaires qui se croit appelée à constituer une aristocratie. Une majorité irrésistible leur est acquise dans les chambres. Les libéraux, se sentant réduits à l’impuissance sur le terrain légal, s’organisent pour la révolution.

L’établissement de la monarchie de 1830 appelait un progrès en matière d’élections. De la théorie du vote universel, il ne restait plus que quelques germes, et dans des esprits bien différens. Au point de vue de la légitimité, M. de Genoude, dont la prétention était d’avoir retrouvé les vrais principes de l’ancienne monarchie, se mit à réclamer le suffrage universel : il n’entendait par là que le vote à deux degrés, tempéré par un ensemble d’institutions conservatrices ; mais il trouva peu d’adeptes, même dans son parti. Les légitimistes de cette seconde génération s’étaient rapprochés des voies tracées par la charte ; ils ne voyaient plus dans le plan de M. de Genoude qu’une aberration révolutionnaire. Ce système, préconisé longtemps par un journal incisif, fit beaucoup de bruit sans aucun effet. A l’extrémité opposée, la question du droit de suffrage surgit instinctivement dans les réunions que formait alors la