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mains au milieu de l’assemblée. Les républicains devaient-ils contrecarrer le rétablissement du suffrage universel, ou prêter la main à des projets menaçans ? Convenait-il mieux aux royalistes de la majorité de jeter le défi aux masses populaires en refusant de s’associer au pouvoir exécutif, ou de détruire eux-mêmes leur ouvrage et de s’exposer au ridicule sans regagner la popularité ? Sur le conseil de M. Berryer, l’assemblée essaya d’éluder ces difficultés en réservant son initiative, c’est-à-dire en ajournant la résolution à prendre. On n’attendit pas son bon plaisir. Dans la sombre matinée du 2 décembre 1851, la population des ateliers, allant comme d’ordinaire à ses travaux, s’attroupait devant des affiches qu’on venait de placarder et lisait sans émotion, quelquefois même avec des ricanemens : — « Au nom du peuple français, le président de la république décrète : article 1er. L’assemblée nationale est dissoute ; — article 2. Le suffrage universel est rétabli. — La loi du 31 mai est abrogée. » C’était trancher la question dans le vif. Était-il possible que la partie batailleuse de la démocratie s’enflammât pour l’assemblée qui l’avait dépouillée de ses droits civiques contre le pouvoir exécutif qui les lui rendait[1] ?


III

La réorganisation du suffrage universel a été pour ainsi dire le couronnement du coup d’état ; c’est à l’ensemble des procédés électoraux que l’édifice impérial a dû sa cohésion et sa solidité. Les affiches du 2 décembre avaient annoncé au peuple français qu’il serait invité à déclarer par oui ou par non s’il autorisait le neveu de l’empereur à introduire une nouvelle constitution sur les bases et les théories qui avaient triomphé après le 18 brumaire : « un chef responsable nommé pour dix ans, — des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul, — un conseil d’état préparant les lois et soutenant la discussion devant le corps législatif, — un corps législatif nommé par le suffrage universel sans scrutin de liste, — un sénat conservateur. » Tout le système était résumé en soixante-quinze mots. La nation, consultée suivant les listes antérieures à la loi du 31 mai, accorda l’autorisation demandée par 7,439,216 adhésions sur 8,116,773 votes exprimés. En vertu de ce plébiscite, la constitution napoléonienne fut établie par décret du 14 janvier 1852, et complétée, en ce qui concerne le système électoral, par le décret

  1. Le vainqueur du 2 décembre a constaté lui-même ces dispositions. Il a dit dans une proclamation du 8 décembre : « Dans ces quartiers populeux où naguère l’insurrection se recrutait si vite parmi des ouvriers dociles à ces entraînemens, l’anarchie cette fois n’a pu rencontrer qu’une répugnance profonde… Grâces en soient rendues à l’intelligente et patriotique population de Paris ! »