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PIERRE QUI ROULE SECONDE PARTIE (1) Quand Laurence eut un peu dessiné et un peu rêvé, comme s’il eût senti le besoin de résumer ses souvenirs, il reprit son récit. — Je ne devais voir mon père qu’aux vacances, et j’avais trois mois de liberté jusque-là. Je lui écrivis que j’allais voyager avec un ami pour mon instruction. Cette courte explication suffisait au brave homme. Étranger à tout genre d’études, ignorant du mécanisme social dans toute autre sphère que la sienne, il pouvait parfaite- ment croire que j’allais travailler en me promenant, puisque je lui affirmais ma résolution de songer sans relâche à mon avenir. Avant de vous lancer avec moi dans la vie nomade, je dois vous faire connaître les principaux personnages auxquels j’associais ma destinée. Les uns quittèrent Paris avec nous, les autres furent ral- liés en route. L’inséparable de Bellamare et son meilleur ami peut-être, en même temps que son antipode comme caractère et comme aspect, était un homme dont l’histoire bizarre mérite d’être contée. Il por- tait le nom de Moranbois et s’appelait réellement îlilarion, lui, l’homme le moins gai de la terre. Il ne s’était jamais connu de fa- mille. Enfant de l’hospice, il avait gardé les pourceaux chez un paysan qui le battait et le laissait mourir de faim. Enlevé moitié de gré, moitié de force, par des saltimbanques qui passaient, il n’avait cependant paru propre à rien pour le divertissement du public ; on l’avait dte abandonné sur un chemin, où un Auvergnat l’avait ra- massé pour porter sa balle. Ce métier lui plut ; on le nourrissait (1) Voyez la Revue du 15 juin.