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un train de plusieurs éléphans, tous montés par des officiers armés et suivis d’une troupe de joueurs d’instrumens et de quelques centaines de soldats. Le roi, que les Hollandais saluèrent lorsqu’il passa devant leurs tentes, ne leur parut âgé que de vingt-deux ans. Peu de temps après, les femmes défilèrent aussi sur seize éléphans[1]. Dès que les deux cortèges furent hors de la vue du camp, chacun rentra dans sa tente, où le roi fit porter à dîner aux Hollandais. A quatre heures après midi, l’ambassadeur fut invité à l’audience et conduit à travers une grande place dans une cour carrée environnée de murailles avec quantité d’embrasures ; au milieu se voyait une grande pyramide dont le haut était couvert de lames d’or du poids d’environ mille livres. Ce monument était regardé comme une divinité, et tous les Laotiens venaient lui rendre leurs adorations. Les présens des Hollandais furent apportés et posés à quinze pas du prince. On conduisit ensuite l’ambassadeur dans un temple où le roi se trouvait avec tous ses grands. C’est là qu’il lui fit la révérence ordinaire, tenant un cierge de chaque main et frappant trois fois la terre du front. Après les complimens usités en pareille occasion, le roi fit présent à l’ambassadeur d’un bassin d’or et de plusieurs habits. Les personnes de sa suite ne furent pas oubliées. On leur donna aussi le divertissement d’un combat simulé et d’une espèce de bal qui fut terminé par un feu d’artifice. Ils passèrent cette nuit-là hors de la ville, ce qui était sans exemple, et le matin on les ramena dans leur logement avec quatre éléphans. Depuis ce jour, l’ambassadeur fut encore traité plusieurs fois à la cour, et l’on s’efforça de lui procurer tous les amusemens imaginables. Après s’être arrêté pendant deux mois à Winkyan, il en partit pour retourner à Camboya, où il n’arriva qu’au bout de quinze semaines, fort satisfait du succès de sa commission[2]. »

Si les finances du royaume permettaient au souverain de déployer autant de pompe dans les occasions solennelles, son armée semblait capable de tenir en respect des voisins ambitieux. Le pays était si peuplé que dans un dénombrement des gens propres au service militaire on compta 500,000 hommes en état de porter les armes, à l’exclusion des vieillards, qui a y étaient en si grand nombre et si robustes que, même de ceux qui étaient âgés de cent ans[3],

  1. D’après Marini, le nom même de Langione signifierait dix mille éléphans. Le Laos est certainement un des pays du monde où l’on rencontre le plus grand nombre de ces animaux. Un Laotien disait à Crawfurd qu’on s’en servait même pour transporter les femmes. Cela prouve évidemment qu’on en a à ne savoir qu’en faire.
  2. Vie des gouverneurs-généraux aux Indes orientales, La Haye, 1763.
  3. Delle missioni dei padri della compagnia di Giesu nella provincia del Giappone, par le père Marini.