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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/505

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Récapitulons un instant cette vieille histoire de six semaines. Au premier aspect, les élections du 24 mai et du 7 juin, malgré le réveil de vitalité qui se déclare énergiquement, n’offrent sans doute encore rien de décisif ; d’après les apparences, elles assurent même au gouvernement une majorité des plus respectables, toujours fidèle, quoiqu’un peu émue de la lutte. Au fond cependant, on sent déjà que quelque chose de grave se prépare, que les conditions politiques de la France viennent d’être transformées par un coup de scrutin, que si la force numérique est dans la majorité, la force morale est dans l’opposition, et le gouvernement lui-même a le sentiment vague de cette révolution d’opinion qui s’accomplit autour de lui, dont les troubles de Paris ne sont qu’un incident désavoué par l’instinct public. Le gouvernement, sans se rendre un compte exact de la réalité, commence à se préoccuper, disons-nous, et le premier symptôme de cette agitation intime mal déguisée, c’est la lettre à M. de Mackau. Comment, entre tous les députés, l’empereur allait-il choisir pour confident un des plus jeunes et un des moins connus ? On n’a plus même à le rechercher. Que signifiait réellement cette confidence ? Ce n’est plus qu’un détail archéologique. Survient peu après la lettre à M. Schneider : celle-ci est certainement plus grave, car elle ressemble à une satisfaction demandée par le président du corps législatif et accordée par le chef de l’état. C’est la dignité du souverain entrant en explication et en composition avec la dignité d’un personnage politique. Ce qu’il faut chercher du reste dans ces lettres, c’est bien moins une signification précise que l’incertitude, le malaise qu’elles révèlent en présence d’une situation mal définie. Le gouvernement flotte entre une réserve énigmatique et le pressentiment de nécessités dont il ne distingue pas encore la mesure ; il attend, sans voir que le flot monte autour de lui, et que chaque jour perdu est une aggravation. Le 28 juin, le corps législatif est inauguré par les déclarations de M. Rouher, croyant aller au-devant de toutes les sollicitations et promettant pour la session prochaine des réformes destinées à répondre aux vœux publics manifestés dans les élections. Quelles sont ces réformes qui doivent être réalisées ? On ne le dit pas encore : moyen infaillible de tenir les esprits dans l’attente, d’abandonner majorité et opposition à elles-mêmes.

C’est alors que la vérité éclate brusquement, et que la situation s’accentue d’heure en heure par la force des choses. Au milieu d’une vérification des pouvoirs entrecoupée d’incidens presque orageux, on sent que toutes les préoccupations sont ailleurs, qu’il y a une obscurité à éclaircir, un mot décisif à prononcer. Dans le demi-jour parlementaire, les nuances se dessinent, les groupes se forment, les hommes se cherchent et se rapprochent. De toutes parts on s’inquiète de ce qui reste à faire, car personne ne doute plus qu’il n’y ait quelque chose à faire, et ici s’engage une vraie course au clocher dépassant du premier coup les