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des cris ; les organes du magyarisme à outrance, sans se soucier de la lettre de M. Louis Kossuth, reprochent tous les jours au ministère cisleithanien de ne pas être assez centraliste, d’avoir laissé grandir les projets d’autonomie bohème, de ne pas avoir fait de la Cisleithanie un tout compacte et homogène. Quelques-uns vont jusqu’à dire : « Nous avons conclu un traité qui nous impose des obligations réciproques. Nous nous sommes partagé l’empire pour en constituer plus solidement la double unité. L’œuvre des Hongrois est faite: quand ferez-vous la vôtre? » C’est la thèse que soutenait récemment le Lloyd de Pesth ; un autre journal, le Szazadunk, organe du général Klapka, adressant les mêmes sommations au gouvernement cisleithanien, demandait que le ministère fût congédié comme impuissant à remplir sa tâche. L’avenir dira qui a mieux compris l’intérêt hongrois, l’intérêt autrichien, l’intérêt européen, de M. Klapka invoquant la tyrannie au nom de l’orgueil magyar, ou de M. Kossuth réclamant la liberté pour tous.

Puisse M. le baron de Beust avoir sérieusement conçu les résolutions qu’on lui prête, puisse-t-il y persévérer ! Si sa conscience politique avait besoin d’être rassurée, qu’il se rappelle les traditions du pays aux heures les plus décisives de l’histoire. Non, les idées de fédération ne sont pas en Autriche une nouveauté téméraire. C’est une fédération qui a été le principe de la monarchie autrichienne, et il y a soixante ans, lorsque l’empire d’Allemagne s’écroula, un des hommes d’état les plus dévoués à l’Autriche traça précisément le programme qu’il s’agit de réaliser aujourd’hui. C’était au lendemain d’Austerlitz; l’empire d’Allemagne n’existait plus, la confédération du Rhin s’organisait sous la protection de l’empereur des Français, la Prusse se préparait à une lutte où elle allait être écrasée en un jour; quel était le sort réservé à l’Autriche ? M. de Gentz, au mois de juin 1806, cherchant le moyen d’empêcher une révolution épouvantable, écrivait ces étonnantes paroles : « La monarchie autrichienne doit cesser dès ce moment d’être considérée comme puissance d’Allemagne. Il ne suffit pas que la dignité impériale soit détruite de fond en comble; mais ce qui reste de provinces à l’empereur n’a plus rien de commun avec l’Allemagne, ne tient à aucun lien et se trouve totalement isolé. Si, après cette révolution épouvantable, l’empereur veut continuer d’exister comme puissance, il n’a plus qu’un parti à prendre : transférer sa résidence en Hongrie, y créer une véritable constitution, établir des rapports tout nouveaux entre ce pays, la Bohême, la Galicie et les débris de ses possessions germaniques, fonder en un mot une nouvelle monarchie qui peut devenir puissante et respectable, mais qui ne ressemblera