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sion dont il ne pouvait se défendre, M. Ribbes offrit au saint-père de l’installer provisoirement dans une maison qu’il possédait non loin du palais. Ce fut dans ce modeste logis que durant la même soirée Pie VII reçut la visite du duc de Cadore apportant l’ordre tardif de mettre immédiatement en état les appartemens destinés au souverain pontife.

Le lendemain, M. Bigot de Préameneu accourait à Fontainebleau, où la plupart de ses collègues ne tardèrent pas non plus à se rendre. Leur but n’était pas en ce premier moment d’être admis auprès de la personne du pape, car Pie VII gisait encore sur son lit de douleur dans un état de santé qui, pendant trois semaines environ, renouvela toutes les inquiétudes que l’on venait d’éprouver pour sa vie[1]. Par cette démarche ostensible, les ministres de l’empereur avaient hâte de témoigner de leur déférence pour le chef de la foi catholique. Ils avaient surtout à cœur de faire comprendre au clergé et à la société parisienne qu’ils n’étaient pour rien dans les incidens qui avaient si étrangement marqué le passage du saint-père au Mont-Cenis et son arrivée à Fontainebleau. Quels reproches pouvait-on leur adresser ? Était-ce leur faute si le gouverneur du Piémont, le beau-frère de l’empereur, n’avait pas voulu accorder quelques instans de repos à l’auguste malade ? Quant aux instructions remises au colonel Lagorse, l’empereur les avait dictées lui-même. Était-il juste de les blâmer parce qu’un militaire, esclave de sa consigne, avait compromis la santé du prisonnier en n’osant prendre sur lui de le faire voyager à petites journées ? Comment pouvaient-ils prévoir que le concierge d’un palais impérial serait si malavisé que d’en fermer les grilles au souverain pontife ? Préparer d’avance les appartemens du saint-père, c’eût été donner l’éveil aux habitans de la ville, et l’on aurait alors risqué de les voir, comme jadis, se porter tous au-devant de la voiture pontificale. Pour l’empereur, quel déboire, et pour eux quelle responsabilité, s’ils avaient imprudemment fourni à Pie VII l’occasion d’un semblable accueil ! Ces explications, données à voix basse par M. Bigot de Préameneu et par le duc de Rovigo, n’étaient pas dénuées de fondement. Autant en pouvaient dire pour leur propre décharge le prince Borghèse, le colonel Lagorse et jusqu’à ce pauvre portier, sur lequel on eût volontiers, si cela n’avait été trop ridicule, fait exclusivement retomber le poids de tout ce qui venait de se passer. Cette fois encore, comme en 1809 lors de l’enlèvement du pape du Vatican et de son transfert à Savone, aucun des personnages impliqués dans ce drame étrange n’avait, à vrai dire, mérité d’être particulièrement

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 314.