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leurs chambres et de se promener autant qu’ils le voudraient dans une sorte de vestibule commun. C’était l’empereur qui avait personnellement voulu accorder aux trois prisonniers cette faveur, à laquelle il savait qu’ils seraient fort sensibles ; mais il avait en cela un but particulier. Lorsque les trois évêques eurent goûté pendant quelques jours la satisfaction inattendue de se retrouver ensemble, le duc de Rovigo, car c’était lui qui semblait avoir désormais la haute main dans les affaires religieuses, fit savoir à M. Bigot de Préameneu qu’il était chargé par le chef de l’état de s’entendre avec lui pour obtenir la démission des prélats. Supposant que le secrétaire-général du département des cultes serait probablement chargé de cette mission, il envoyait au commandant du château la permission de le laisser communiquer avec les prisonniers. Pour éviter sans doute que M. Bigot, son secrétaire-général et surtout les évêques se fissent la moindre illusion sur les conséquences probables d’un refus, le duc de Rovigo avait soin de terminer sa lettre en priant son collègue de « vouloir bien l’informer immédiatement du résultat de la démarche, afin qu’il pût faire exécuter la suite des ordres de sa majesté[1]. »

La menace était suffisamment transparente, et les trois évêques ne s’y trompèrent point. Le secrétaire-général du ministère des cultes, arrivé le même jour à Vincennes, vit séparément chacun de ces messieurs, et prit soin d’empêcher qu’ils ne pussent se concerter avant de lui répondre. Leur hésitation, à ce qu’il paraît, fut d’abord assez grande. Chacun d’eux se débattit et délibéra plus ou moins longtemps en lui-même. Cependant l’évêque de Tournai céda le premier, et sa lettre, que nous avons sous les yeux, ne donne point à penser qu’il ait fallu lui livrer un très rude combat. « M’abandonnant entièrement à la clémence et à la grâce de sa majesté l’empereur et roi, à qui je resterai éternellement soumis et très affectueusement attaché, y disait-il, je me fais un devoir, d’après le contenu de la lettre qui m’a été présentée, de donner ma démission de l’évêché de Tournai. » La défense de l’évêque de Troyes, celle surtout de l’évêque de Gand, furent beaucoup plus longues. « Ils refusèrent quelque temps, écrit le chanoine de Smet, de se prêter à cet acte ; mais, pensant ensuite qu’ils devaient en tout état de cause se regarder comme perdus pour leurs diocèses, et que d’ailleurs une démission souscrite sous les verrous ne pouvait avoir aucune valeur, ils se déterminèrent à céder[2]. » La dé-

  1. Lettre de M. le duc de Rovigo au ministre des cultes, 22 novembre 1811.
  2. Coup d’œil sur l’Histoire ecclésiastique dans les premières années du dix-neuvième siècle, par le chanoine de Smet, Gand 1849.