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seront reconnues. À quarante-cinq ans, s’éteindre dans l’inaction est un état pénible. Je ferai, comme j’ai toujours fait, les vœux les plus ardens pour le bonheur de sa majesté l’empereur, de son auguste famille, pour la prospérité de la patrie, et je conserverai également un souvenir reconnaissant des témoignages d’affection que j’ai reçus de vous[1]. »


Le 6 février 1812, M. de Boulogne envoyait de Falaise au même ministre une supplique beaucoup plus humble.


« Est-ce donc là, s’écriait l’évêque de Troyes, que devaient se terminer quatre ans de succès flatteurs et de travaux utiles ? Serait-il vrai que toutes les rigueurs ne sont point encore épuisées, et que je sois encore condamné à voir la fin de mon honorable carrière attristée par le besoin ? Je ne puis le croire. Non, jamais je ne croirai que sa majesté veuille mettre le comble à mes malheurs en m’enlevant mes moyens actuels de subsistance sans m’assurer un sort pour l’avenir. L’empereur est sans doute le maître de me retirer ses bonnes grâces, puisque j’ai eu le malheur de lui déplaire ; mais j’ose dire, avec tout le respect qui lui est dû et toute la confiance que m’inspire la magnanimité de son caractère, qu’il ne l’est pas de me dépouiller de tout sans me donner quelque dédommagement. Ce serait, je ne crains pas de l’avancer, une injustice qui n’est pas dans son cœur et qui ne serait pas moins opposée à la générosité de ses sentimens qu’à son amour pour la véritable gloire[2]. »


Quoi qu’en dise ici M. de Boulogne, la générosité envers ceux qu’il considérait comme des adversaires n’avait jamais fait partie des qualités de Napoléon. Le bon sens, une juste appréciation des obstacles que pouvait lui opposer la nature des questions engagées ou le caractère des hommes qui s’y trouvaient mêlés, l’avaient à ses débuts presque toujours guidé dans le maniement difficile des affaires religieuses ; mais ce temps heureux était passé. La raison ne le gouvernait plus ; c’était la passion qui l’emportait. Au dedans comme au dehors, il ne voulait plus dorénavant compter avec rien ni avec personne. Quoi de surprenant si, dans une pareille disposition d’esprit, alors qu’il n’hésitait point à se jeter dans la plus aventureuse expédition, et semblait courir tête baissée au-devant de la catastrophe qui allait détruire sa puissance militaire, il ne regardait pas davantage à prendre coup sur coup, avant de quitter la France, des mesures inutilement violentes, propres surtout à

  1. Lettre de Maurice de Broglie, ancien évêque de Gand, au ministre des cultes Beaune, 11 décembre 1811.
  2. Extrait d’une lettre de l’ancien évêque de Troyes au ministre des cultes, Falaise, 6 février 1812.