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pensée? L’unité de l’être dans le mouvement mécanique, ne serait-ce point là, par parenthèse, cette maîtresse formule invoquée par M. Taine, mère féconde de toutes les autre?, dont l’enchaînement constituerait le système entier de l’univers?

Dans ce déterminisme absolu, que deviennent la liberté et la personnalité de l’être humain? que devient l’activité spontanée des êtres de la nature? Ame, vie, nature, force spontanée, tout cela peut-il être autre chose que des mots vides de sens dans une pareille philosophie? Rendons justice au matérialisme contemporain; il ne se refuse à reconnaître aucun des faits qu’atteste l’expérience, soit externe, soit interne; il admet toutes les propriétés caractéristiques qui distinguent les divers règnes de la nature; il ne nie aucun des phénomènes de conscience proprement dits, c’est-à-dire aucun des sentimens qui répondent chez l’homme aux mots d’individualité, de personne, de moi, comme le sentiment de l’unité, le sentiment de l’identité, le sentiment de la liberté, le sentiment de la responsabilité. Seulement tout cela n’est pas pour ce matérialisme la vérité vraie, absolue, définitive. Derrière cette scène extérieure et apparente des phénomènes se cache l’action intime, profonde des véritables causes. L’homme s’apparaît comme un être un dans son essence, identique dans sa conscience, libre dans son activité, une cause enfin. Pure illusion! Il n’est qu’un effet, puisqu’il ne peut être que la résultante des forces composant son organisme. La nature paraît peuplée de forces spontanées qui commandent aux lois de la matière inorganique : encore une illusion. Toutes ces forces prétendues ne sont elles-mêmes que des résultantes de forces d’un ordre inférieur. Si l’âme, la vie, la liberté, sont au premier plan de la scène, c’est la nécessité, la pure force mécanique, qui est au fond et qui en fait tout le jeu. En un mot, l’âme, la vie, la liberté, ne sont que des apparences; le mouvement simple est la réalité. La mécanique est le dernier mot de toutes choses; c’est là qu’il faut chercher l’explication définitive des mystères de la psychologie, de la biologie, de la chimie et de la physique. Ici éclate la contradiction entre la spéculation et la conscience.

Que nulle autre philosophie ne soit à ce point destructive des vérités de l’ordre moral, rien de plus manifeste. Le matérialisme, sous quelque forme qu’il se soit produit, a toujours eu le privilège de la négation la plus nette et la plus radicale des principes de la conscience. Cela est tout simple, puisqu’il n’emprunte aucune de ses données à une autre source que l’expérience sensible. Au contraire, entre la philosophie spiritualiste et la conscience, l’entente est naturelle, par cela seul que le spiritualisme trouve dans la conscience elle-même sa donnée première; mais, avec un esprit tout différent et