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de cette nécessité supérieure qui n’est autre que l’irrésistible attrait du bien. À cette hauteur, toutes les différences que l’expérience avait attestées comme essentielles entre les êtres ne sont plus que les degrés d’un seul et même type; toute diversité se confond dans l’identité. Nature, âme et esprit, mouvement, instinct, volonté et pensée, fatalité et providence, ne sont plus que des expressions diverses d’une même essence et d’une même loi : là encore unité parfaite dans le principe, nulle solution de continuité dans la série des formes qui le manifestent. Mécanique, physique, chimie, biologie, toutes les sciences de la nature viennent chercher leur explication dans une intuition supérieure qui n’est autre que l’expérience intime. Tel est le spiritualisme de Leibniz, de Schopenhauer, de Maine de Biran, de M. Ravaisson.

La nécessité est encore le dernier mot de cette philosophie, nécessité bien différente, il est vrai, de celle qu’invoque le matérialisme. Pour celui-ci, toute nécessité est fatalité, par cela même qu’elle n’a pour cause qu’une loi sans raison finale; pour le spiritualisme au contraire, toute nécessité est providence, par cela même qu’elle a pour cause une fin. C’est cette nécessité du bien que le spiritualisme appelle la liberté absolue. Nous voici bien loin des enseignemens de la conscience. La liberté ainsi entendue n’est plus que la spontanéité des actes ; elle a perdu son caractère psychologique pour en prendre un tout métaphysique, supérieur, si l’on veut, quant au résultat, mais qui n’a plus rien de commun avec le libre arbitre. Spontanéité de la simple tendance chez les êtres inorganiques, spontanéité de l’instinct chez les animaux, spontanéité de la volonté chez l’homme, spontanéité de l’amour en Dieu, voilà la liberté à tous ses degrés. Elle a pour mesure non la puissance de l’effort, mais la force d’attraction qui emporte vers le bien. Par conséquent faire le bien par amour, sous l’irrésistible aiguillon de la grâce intérieure, comme dirait un théologien, est un acte plus libre que de le faire avec choix et réflexion. N’est-ce pas confondre ce que la psychologie met tant de soin à distinguer, à savoir, l’ordre des phénomènes affectifs et l’ordre des phénomènes volontaires? n’est-ce pas supprimer les caractères et les conditions propres de la moralité? n’est-ce pas oublier l’acte pour l’effet, le devoir pour le bien? Que l’amour soit supérieur à la volonté proprement dite par la puissance de ses mouvemens, on peut l’admettre, au moins en beaucoup de cas ; mais il en est de même de l’instinct. Or, si l’instinct proprement dit peut être considéré comme un auxiliaire de la volonté dans l’accomplissement de la loi morale, il n’a jamais compté pour un véritable principe moral. L’amour, né du sentiment, est un phénomène d’un ordre bien su-