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activité spontanée. Voilà ce que la conscience apprend à la philosophie naturelle. Si Aristote et Leibniz ont chacun renouvelé cette dernière, s’ils ont rendu la vie et l’être véritable à cette nature si mal comprise des physiciens atomistes et des physiciens géomètres de leur époque, c’est qu’ils en avaient retrouvé le principe de spontanéité dans une autre expérience que celle des sens.

Pourquoi la spéculation métaphysique aboutit-elle au panthéisme? C’est encore parce qu’elle ne trouve pas en elle-même le principe qui pourrait l’arrêter dans ses déductions logiques. Quand la pensée s’est élevée jusqu’à la conception de l’être universel, il lui devient difficile de ne point se laisser aller à toutes les conséquences plus ou moins rigoureuses de cette conception. Ni l’expérience sensible ni l’imagination ne résistent à l’absorption des êtres dans l’être absolu, par la raison que l’expérience sensible et l’imagination ne pénètrent pas dans l’individualité même des êtres, et ne nous en laissent qu’une représentation tout extérieure. Il en résulte que le principe de l’unité domine les apparences, et fait rentrer dans le sein de l’être universel tous ces prétendus êtres dont on ne voit que les formes éphémères. Seul le sens intime résiste à une pareille métamorphose, seul il affirme la liberté, la personnalité de l’homme d’abord, puis l’autonomie, la spontanéité des êtres de la nature. C’est parce que l’homme sent son être sous les phénomènes qui le manifestent extérieurement qu’il comprend, sans le sentir, l’être des choses qui l’entourent. C’est parce qu’il se reconnaît une force, une cause, qu’il retrouve un monde peuplé de forces et de causes réelles. Alors il lui est impossible d’accepter ce panthéisme qui fait des êtres individuels de purs modes de l’être universel. La conscience maintient la philosophie de l’unité dans la seule doctrine qui puisse satisfaire à la fois la raison et l’expérience, à savoir la coexistence des individus au sein de l’être universel. C’est cette vérité si bien exprimée par une formule théologique que la métaphysique pourrait s’approprier, avec la substitution d’un seul mot, in uno vivimus, movemur et sumnus. Tel est le service que Schelling croyait avoir rendu à la philosophie trop abstraite de Spinoza en lui infusant le sentiment des forces vives de la nature. Ce n’est pas en effet par sa conception de l’unité que pèche cette grande philosophie dont Lessing, Schelling, Hegel, Goethe et beaucoup d’autres esprits élevés ont repris la tradition; c’est par le mépris de l’expérience intime et même de toute expérience; c’est par l’abus d’une méthode toute géométrique qui a faussé et stérilisé le principe même du système. La mauvaise physique et la mauvaise psychologie de l’école cartésienne ont conduit la philosophie de l’unité à cette malheureuse doctrine de la néces-