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Dieu puissant et jaloux, terrible dans ses justices, cruel dans ses vengeances. C’est donc avec une parfaite vérité que le plus mystique des Évangiles a pu dire : « Je suis un avec mon Père. » Le Dieu qu’invoque et que prie Jésus n’est plus le Dieu de la loi ; c’est le Dieu de sa conscience.

Et cœliun et virtus, ce mot du poète stoïcien n’est pas moins vrai de la religion que de la morale. Le vrai sentiment religieux n’a rien de métaphysique ; il ne s’adresse ni à l’être infini, ni à l’être absolu, ni à l’être universel, tous êtres abstraits qui n’ont rien de commun avec la conscience. Il a pour objet un Dieu qui, à part les attributs que lui reconnaît la raison, est l’idéal de notre nature. C’est dans la conscience que l’âme a cherché et trouvé ce Dieu ; c’est dans la conscience qu’elle le contemple et l’adore. La nature n’a jamais donné qu’un être d’imagination, de même que la pensée métaphysique n’a jamais donné qu’un être de raison. Partout et toujours la vraie divinité, nous disons celle qui répond au sentiment religieux, est sortie du sanctuaire de la conscience humaine, plus ou moins pure, noble, adorable, selon les progrès de cette conscience. Aussi peut-on dire que le sentiment religieux a constamment été en raison du sentiment moral, et quand la foi du croyant a eu besoin d’un commentaire de la parole sainte, où l’a-t-elle cherché ? Dans le livre toujours nouveau de la conscience. C’est ce qu’a fait et fera le chrétien protestant, pour lequel les Écritures ne sont qu’un texte toujours ouvert aux interprétations de la science et de la morale, c’est ce que fait encore, quoiqu’avec moins de liberté, le chrétien catholique soumis à l’autorité de l’église ; mais que la théologie se réforme ou non sous l’inspiration de la conscience, il n’en reste pas moins certain qu’autant elle doit se défier de l’imagination et de l’abstraction métaphysique, autant elle doit se confier à la conscience lorsqu’il s’agit de la bonne et saine direction de l’âme religieuse.

Enfin pourquoi les sciences morales elles-mêmes semblent-elles se perdre aujourd’hui dans un déterminisme aussi dangereux que le matérialisme ? pourquoi l’histoire incline-t-elle au fatalisme ? pourquoi la politique tourne-t-elle à l’empirisme ? pourquoi l’économie politique risque-t-elle de se perdre dans les détails de la statistique ? pourquoi la morale se laisse-t-elle ramener, elle aussi, à une simple théorie mécanique des passions où il n’est plus question de liberté, de droit et de devoir ? C’est toujours parce que ces sciences oublient les enseignemens de l’expérience intime. Elles oublient que la conscience n’est pas seulement la lumière, qu’elle est le principe, l’âme, la substance même dont elles vivent, et que, si elles négligent ses révélations, elles restent aveugles en dépit de toutes les méthodes qu’elles peuvent emprunter aux sciences physiques.