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d’un mouvement légitime de réaction slave contre l’esprit envahisseur de l’Allemagne, ne devait pas cependant tarder à défendre les Slaves et l’Allemagne elle-même contre les envahissemens de la barbarie orientale. Ce que l’on doit admirer encore davantage peut-être, c’est que ce rôle magnanime et élevé ait été tracé au royaume-uni dès le début et par un barbare, par un païen converti d’hier, un « sauvage » sorti des forêts vierges, et qui jusqu’à la fin de ses jours ne put apprendre à mouler les lettres.

Rien de plus saisissant en effet que le travail continu de Jagello pour marquer son gouvernement d’un cachet occidental, pour faire de son état une puissance éminemment européenne au service de la civilisation et du catholicisme. Ce fut là la pensée immuable du roi Ladislas II, qui sut maintenir sa politique jusqu’au bout dans ce qu’un historien allemand a très heureusement appelé « un juste milieu idéal[1], » dans une sérénité de vue qui, tout en affirmant les droits du monde slave à un développement original et indépendant, ne leur sacrifiait cependant jamais les droits plus généraux du monde chrétien. Witold n’aurait pas demandé mieux que de passer outre. Esprit ardent, ambitieux et libre de tout scrupule, le fils héroïque de Keystut et de Biruta tenait à suivre la voie tracée depuis longtemps par ses ancêtres, les grands-ducs de la Lithuanie, et voulait pousser le nouvel état de Jagello à la conquête des régions immenses de l’est. Le royaume des Piasts n’était à ses yeux qu’un arsenal bien muni d’armes modernes et de capitaines intelligens dont il fallait profiter pour accomplir les vastes desseins d’Olgerd sur les contrées du Dnieper et du Don, pour aller briser, à son exemple, la lance lithuanienne aux portes de Moscou. Peu lui importait que l’empire ainsi agrandi de peuples façonnés au rite oriental eût nécessairement subi l’influence délétère de l’église byzantine. Il ne reculait pas non plus devant l’idée d’un arrangement avec la horde d’or du Kaptchak pour le partage des pays situés entre l’Euxin, la mer Caspienne et les monts d’Ural. «Dieu nous a préparé la domination sur toutes les terres, » aimait-il à dire à l’instar de ces lieutenans de Tamerlan avec lesquels il cherchait toujours à entretenir des relations amicales malgré des guerres souvent renouvelées. Contrairement au fils de Keystut, la reine Hedvige, la fille de Louis d’Anjou, avait ses regards tournés du côté opposé, vers l’ouest, vers ce royaume d’Arpad, l’apanage de sa sœur aînée Marie, dont Sigismond de Luxembourg, a fiancé » plus heureux que le duc Guillaume d’Autriche, était parvenu à s’emparer au milieu des déchiremens intérieurs de la nation magyare. Après la mort

  1. Caro, Geschichte Polen’s, t. III, p. 164.