bouche des saint Grégoire, des saint Jérôme, des saint Jean Chrysostome, des saint Augustin ? Et dans les siècles suivans, lorsque la barbarie et l’ignorance, comme un nuage épais, s’appesantissent de plus en plus sur le monde, quelles voix s’élèvent encore, moins pures et moins sublimes, mais fortes et puissantes toutefois, au milieu du silence universel? Celles des saint Grégoire le Grand, des Isidore de Séville, des saint Colomban, des saint Boniface, des saint Césaire d’Arles, des saint Avit de Vienne, des Alain de Farfe, des Raban-Maur, des Odon de Cluny? Dans ces temps de chaos et de ténèbres où ne brillent guère que des lueurs d’épées et de cottes de mailles, dans quels derniers asiles sont recueillis l’art du raisonnement et la science de la parole, dans quels lieux privilégiés enseigne-t-on encore avec un zèle pieux la grammaire et la rhétorique, sinon dans ces écoles cathédrales qui, au commencement du VIe siècle, sur tous les points de la France, se dressent à côté des métropoles, et recueillent l’héritage vacant des rhéteurs païens? C’est de ces pépinières sacrées que sortent les évêques prédicateurs dont nous venons de citer les noms; c’est dans ces foyers que se perpétue, comme jadis la flamme des vestales, le feu sacré de l’éloquence, et c’est là qu’au XIe siècle, lorsque l’esprit humain se dégage des ruines qui l’étouffaient, les orateurs naissans le retrouvent couvert de cendres, mais brûlant encore. Certes alors l’art oratoire est bien peu de chose; le peu qui en reste, c’est la chaire qui l’a conservé, et c’est la chaire aussi qui le relève et lui redonne la vie. La première parole qui retentit dans le XIe siècle est celle d’un Raoul Ardent, d’un Gerbert, d’un Aimoin, d’un Abbon, d’un saint Anselme. Les premiers efforts pour ranimer l’éloquence expirante sont tentés par le clergé dans ces écoles qui ont traversé, sinon sans souffrir, du moins sans périr tout à fait, quatre siècles de barbarie et d’indifférence. C’est Bernard de Chartres, c’est Pierre Abélard, c’est Pierre le Vénérable, c’est Guibert de Nogent, qui, pour créer des prédicateurs, ressuscitent et rendent à la lumière les préceptes de la rhétorique.
Ces préceptes, il est vrai, sont bien dégénérés : le temps et l’ignorance les ont travestis, énervés, abâtardis, et, il faut le dire, le beau côté de cette renaissance de la parole à la fin du XIe siècle et au commencement du XIIe, c’est l’inspiration, la foi, l’enthousiasme. La sève, la vie de ce mouvement est dans les prédications populaires de Robert d’Arbrisselles, de Foulques de Neuilly, de Jean de Nivelle, dans ces brûlans appels, ces improvisations passionnées qui, sortant de la bouche d’un Pierre l’Ermite ou d’un saint Bernard, embrasent tous les cœurs, font taire chez les plus timides l’amour de la patrie, de la famille, de la vie elle-même,