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son troupeau, elle avait vu dans la langue nouvelle un moyen précieux de resserrer ses rapports avec les populations qu’elle instruisait et de s’assurer avec elles une communication plus directe, plus intime. Elle avait dès l’abord permis, conseillé, puis bientôt formellement imposé à ses missionnaires, à ses prédicateurs, à ses prêtres, l’usage de la langue vulgaire. Dès l’année 813, le concile de Tours enjoint aux clercs d’expliquer les saintes Écritures et de prêcher en langue française. Cette injonction, nous la retrouvons à chaque pas dans les canons des conciles ; ceux de Reims en 813, de Strasbourg en 842, d’Arles en 851, la renouvellent avec une insistance et une énergie toujours croissantes.

Au surplus, nous avons mieux encore que des décisions de conciles, lesquelles après tout auraient pu rester lettre morte et ne prouveraient guère alors que les bonnes intentions du haut clergé ; nous avons des monumens plus palpables et plus convaincans. Nous pourrions, par exemple, en remontant jusqu’au VIIIe siècle, citer les Gloses de Reichmann, sorte de glossaire à l’usage des ignorans qui voulaient lire la Bible, et où les mots latins les plus difficiles sont traduits en langue vulgaire. Voilà certes un texte précieux et dont nous sommes redevables à l’initiative de l’église. Toutefois, outre que la langue de cette sorte de version des Écritures saintes n’est guère encore qu’un patois assez éloigné du français, ces fragmens ne rentrent pas directement dans les annales de la prédication, et c’est à la chaire surtout que nous nous attachons ici. Contentons-nous de remonter jusqu’au XIIe siècle : nous y rencontrons un recueil de sermons en dialecte limousin qui peut passer pour le plus ancien monument connu de la prose romane. Dès lors les textes en langue vulgaire s’offrent à nous en abondance. Nous ne suivrons pas M. Lecoy de La Marche dans l’énumération de tous ces documens ; nous jetterons plutôt un rapide coup d’œil sur la savante discussion qu’il consacre à l’un des plus intéressans problèmes qu’ait eu à résoudre la philologie moderne.

Ce problème, le voici : quelle fut la langue originale des sermons qui nous sont parvenus sous le nom de Maurice de Sully ? De ces sermons, nous possédons des rédactions françaises et des rédactions latines. Où est l’original, où est la traduction ? Exemplaires latins et exemplaires français offrent les mêmes caractères paléographiques. Les uns et les autres paraissent remonter à la même date, et doivent être en partie contemporains du prédicateur lui-même. Que conclure ? Question toute spéciale, nous dira-t-on peut-être, pur problème d’école et d’érudition ! On se tromperait. Si en effet les rédactions françaises n’étaient, comme l’a soutenu Daunou, qu’une simple traduction faite après coup, on ne