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elle voyait s’asseoir la connétablie, l’amirauté, les eaux et forêts de France, tribunaux spéciaux qui jusqu’en 1790 gardèrent collectivement le nom de table de marbre; contre les murailles se dressaient les statues des rois de France, et au plafond pendait une sorte de crocodile empaillé, dragon horrifique tué jadis par Godefroid de Bouillon, disait la légende :

Illic sunt etiam monimenta insignia palmæ
Quum tulit ex victo Gothofredus fortior angue[1].


Le dernier roi qui habita la Cité fut Charles V ; Charles VI alla cacher sa folie dans les jardins de l’hôtel Saint-Pol, et Charles VII en 1431 abandonna définitivement le Palais au parlement.

En 1618, un incendie resté célèbre dans notre histoire urbaine détruisit la grand’salle; le feu avait pris dans les combles, construits en charpente; tout fut brûlé. L’on vit disparaître ainsi un des lieux de réunion chers aux habitans de Paris, qui dans les heures de troubles, d’inquiétude, de disette, allaient là pour échanger leurs impressions et parfois concerter quelque mouvement séditieux. Pendant le siège soutenu contre Henri IV, « au Palais ne se trouvèrent plus, dit Pierre de l’Estoile, que ligueurs et fourbisseurs de nouvelles. » L’incendie de la grand’ salle fut promptement réparé; dès 1622, Jacques Desbrosses avait terminé la salle des Pas-Perdus. Les images royales qui l’ornaient ont disparu, et seule sur son piédestal, dans une pose à la fois emphatique et médiocre, on aperçoit la statue de Malesherbes, le défenseur de Louis XVI. Il y a eu là d’autres combats que ceux de la parole, d’autres luttes que celles de l’éloquence. Sous la fronde, le coadjuteur de Retz et le prince de Condé y tirèrent l’épée avec trois ou quatre mille de leurs partisans, et le 3 août 1663 les clercs et les laquais s’y livrèrent une bataille en règle. De telles aventures n’arrêtaient point la bonne compagnie, qui fréquentait le Palais avec assiduité, non point pour suivre les procès, solliciter les juges, entendre les avocats du roi, comme on pourrait le croire, mais pour se promener, se divertir et faire des emplettes. Le lieu était tellement à la mode, qu’il servit de prétexte à une comédie : qui ne se souvient de la Galerie du Palais de Corneille? Dans la galerie où s’ouvre la voûte qui conduit au parquet du procureur-général et dans le grand vestibule s’allongeait une série d’échoppes. Les marchands de dentelles, d’étoffes, de parfums, établis dans les entre-deux des piliers, dans les fausses portes, dans les renfoncemens réguliers de la muraille, appelaient les chalands et mêlaient leurs cris à la rumeur de la

  1. Éloge descriptif de la ville de Paris, en 1451, par Antoine Astesan.