à outrance les conclusions formelles et lumineuses de M. Tardieu, on invoqua l’opinion de M. Claude Bernard; elle rassura la conscience du jury, et les circonstances atténuantes furent écartées. Toutes les fois qu’un meurtre est commis, le procureur impérial désigne un médecin pour faire l’autopsie du cadavre, retrouver les traces du crime et déterminer dans quelles circonstances particulières il a été commis. Quelques savans sont arrivés, à force d’intelligence et d’observation, à une perspicacité vraiment diabolique, et ils peuvent si bien reconstruire les faits dont ils n’ont plus sous les yeux qu’un témoignage inanimé, que des accusés, stupéfaits de cette sorte de double vue, ont renoncé au mensonge et ont fait des aveux.
Entre une heure et deux heures généralement, l’audience est suspendue pendant quelques minutes pour que le jury puisse prendre un peu de repos, car l’attention finit par s’émousser à suivre les mille détails, insignifians en apparence, à travers lesquels la cause se développe. L’accusé est emmené dans la petite geôle annexée à la cour d’assises; les juges rentrent dans la salle du conseil, les jurés gravissent le haut escalier qui mène à leur appartement, où ils trouvent un goûter préparé pour eux et dont ils font les frais. La salle, si calme et si recueillie tout à l’heure, devient insupportablement bruyante; on dirait que les assistans, comme des écoliers enfin débarrassés de leur maître, se vengent du respect qu’on leur a imposé; on va, on vient, on parle très haut, ou remplit l’hémicycle, on touche avec une certaine bravade aux pièces à conviction : c’est un brouhaha des plus irrévérencieux; c’est absolument une salle de théâtre pendant un entr’acte; j’y ai vu vendre des brioches et de la bière. Un coup de sonnette abat le tumulte, et l’audience est reprise.
On a épuisé la liste des témoins, toutes les confrontations ont été faites, tous les replis d’une mauvaise conscience ont été mis à nu; la parole est au ministère public; un grand silence se fait, et l’on écoute. L’avocat-général, placé tout près du jury et le dominant, s’est levé et parle au nom de la société outragée. Il raconte le crime, en fait ressortir les côtés odieux, groupe les preuves, s’empare des contradictions, les heurte entre elles pour en faire jaillir la vérité, et soutient l’accusation. Plus son discours est simple et dénué de fleurs de rhétorique, plus il est doux dans l’expression et modéré dans la forme, plus il produit d’effet. Ceci est indiscutable. L’emportement, l’emphase, le geste théâtral, ne sont point de mise dans ces questions de vie et de mort; il faut avant tout être très clair, très sincère, peu dogmatique, très humain, très calme, sinon on s’expose à indisposer le public et à mécontenter le jury. C’est un