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fleuves, dangers des voleurs, dangers de la part des Juifs, dangers de la part des gentils, dangers dans les villes, dangers dans le désert, dangers sur mer, dangers de la part des faux frères, labeurs, fatigues, veilles innombrables, faim, soif, jeûnes, froid, nudité, j’ai tout souffert. » On ne peut rien ajouter à cette apologie que le grand athlète écrivait plein du juste sentiment de sa valeur et des services qu’on le forçait à rappeler. Cette apologie d’autre part disait assez que l’opposition des Juifs n’était pas la seule que l’apôtre eût rencontrée, et qu’au sein de la communauté chrétienne sa doctrine avait été singulièrement combattue. Quelle était la cause de cette opposition intérieure, quels en étaient les chefs?


II.

Ce que Jésus voulut faire précisément, — réformer la religion juive ou l’abolir, élargir seulement les portes du temple pour y faire entrer toutes les nations sans distinction de race, ou fonder sur la vaste base du monothéisme juif la religion universelle sans conserver les coutumes et les traditions nationales, — il est difficile de le décider, et les Évangiles fournissent des textes pour appuyer les deux opinions. Le Fils de l’homme paraît avoir embrassé dans son cœur l’humanité tout entière, le fils de l’artisan juif de Nazareth d’autre part a eu de dures paroles contre les étrangers. Après sa mort, la question était de savoir si le mouvement provoqué et commencé dans le monde juif y demeurerait enfermé, ou si, brisant les attaches maternelles, la doctrine nouvelle prendrait une vie propre et formerait une religion distincte. La persécution jeta d’abord l’enseignement de Jésus hors de la Judée. Les païens furent accueillis, puis appelés. Antioche devint un centre de rayonnement. La propagande s’y organisa. La liberté chrétienne y eut son berceau. Bientôt, par la force des choses plus que par la volonté des hommes, deux partis se formèrent parmi les fidèles. L’un siégeant à Jérusalem, ayant pour chefs les douze, pour membres des Juifs de race et d’idées, pour principes le maintien absolu des coutumes et des rites judaïques, fut en général hostile à l’admission des païens. L’autre, né à Antioche, mais n’ayant pas de siège déterminé, parti nomade, cosmopolite, plus libre en ses allures, de dévotion moins formaliste, compose en majorité d’étrangers, faisant bon marché par conséquent des prérogatives prétendues d’Israël et des traditions mosaïques, représente le prosélytisme à outrance. Saint Paul, dont le fanatisme s’est retourné depuis Damas, est le chef de ce groupe, qui va sans cesse en grossissant et auquel l’avenir appartient.

La lutte de ces deux partis tient la plus grande place dans l’âge apostolique. Elle est la clé de l’histoire de saint Paul. L’opposition