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science et si elle a résumé le travail scientifique de plusieurs générations, il est impossible de ne pas admettre que la première notion d’où elle est sortie a été individuelle ; de plus, elle a dû être rudimentaire, très vague et incapable d’être représentée par aucune formule précise. D’un autre côté, elle a dû être très compréhensive, c’est-à-dire receler en elle une force de développement assez grande pour pouvoir servir d’aliment à plusieurs générations. Une idée étroite en effet est bientôt épuisée : quand elle a cessé de produire et qu’elle est devenue inutile, elle cesse de se transmettre et tombe dans un éternel oubli. L’idée aryenne que j’ai précédemment exposée avait une puissance de développement et en quelque sorte une plasticité merveilleuse, puisqu’elle a simultanément produit la religion de l’Inde et celles de la Perse, de la Grèce, de l’Italie, des Celtes, des Germains, des Scandinaves, et que, dans les temps qu’on peut appeler modernes, elle a engendré les communions bouddhistes et les églises chrétiennes.

Si, partant de ces formes dernières et de plus en plus variées, on se reporte au temps où elles n’existaient encore qu’en puissance dans les dogmes aryens des vallées de l’Oxus, on approche de leur commune origine, mais sans pouvoir atteindre dans sa naissance la notion première d’où elles sont sorties. Cette notion a pu être conçue le jour où le feu a été allumé pour la première fois et a jeté une première intelligence humaine dans la perplexité. La théorie du feu est déjà très développée et les formules en sont très nettes dans les hymnes du Vêda, dans les parties les plus anciennes des livres de Zoroastre. Comme ces documens sont pour la race aryenne les plus anciens que nous possédions et que nous puissions espérer de posséder jamais, nous devons nous résoudre à ne remonter que par des inductions aux époques qui les ont précédés.

Ces temps antérieurs ont été une période d’élaboration. Le travail intellectuel qui s’y est accompli n’a pas pu s’opérer suivant des lois différentes de celles qui ont été suivies dans les âges postérieurs, puisque la nature ne brûle pas son code à un moment donné pour s’en créer subitement un autre. Les inductions qui se fondent sur des faits subséquens bien constatés peuvent donc s’appliquer avec une égale certitude à ceux qui ont eu lieu auparavant. C’est là un principe de science incontestable. Or les hymnes du Vêda nous font toucher du doigt le dernier acte du travail intellectuel d’où est née la théorie védique du feu, de la vie et de la pensée ; on y voit l’effort individuel d’hommes supérieurs apportant quelques pierres au commun édifice. Le brahmanisme nous montre le même phénomène, que nous retrouvons encore avec des proportions plus grandes et des caractères plus saillans dans les conciles bouddhiques, dans ceux des églises chrétiennes. Il n’est donc pas douteux que la même