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rien à démêler avec la dépréciation des métaux précieux. Il serait utile de se mettre d’accord, car, suivant la conclusion qu’on adopte, on a des perspectives toutes différentes sur le mouvement de la richesse dans le passé et sur ce qui peut arriver dans l’avenir.

Dans la plupart des cas, les peuples ont, en dehors de tout examen approfondi, des lueurs qui leur montrent la vérité; mais c’est sur des points qui les intéressent au plus haut degré, qui touchent à leur salut. Cela fait partie de cet instinct de conservation que chacun de nous tient de la nature, et qui nous avertit du danger avant même que nous ayons pu l’apercevoir. Il en est autrement des vérités scientifiques, on n’arrive à les connaître que par l’expérience et le raisonnement. Le monde a cru pendant des siècles que le soleil tournait autour de la terre et que celle-ci restait immobile; c’était le contraire qui était vrai. Il a cru encore à la magie, à la sorcellerie, et il a fallu le progrès des lumières pour dissiper ces erreurs. L’idée générale de la dépréciation des métaux précieux ne permet donc de rien conclure sur la vérité de ces vues. Seulement, quand on ne partage pas à cet égard les croyances communes, on a le devoir d’y regarder d’un peu plus près. La première chose, c’est de bien déterminer les faits. S’il ne s’agissait que de dresser le tableau de la variation des prix d’un certain nombre de marchandises dans un temps donné, de mettre à côté celui de la production des métaux précieux et d’en tirer des conclusions suivant les moyennes, la question serait vite résolue; mais ce n’est pas ici une affaire de moyennes, il faut avant tout apprécier chaque chose en particulier. Les causes qui ont influé sur le prix du blé ne sont pas celles qui ont agi sur celui d’autres denrées alimentaires ou des articles manufacturés. Il faut tenir compte encore des événemens exceptionnels qui se sont produits pendant le temps de la comparaison, guerres, mauvaises récoltes, troubles imprévus dans les relations commerciales. Il faut voir enfin quelle répartition a été faite de la production des métaux précieux, ce qui était nécessaire pour remplacer la déperdition, ce qui a été employé pour des usages autres que le monnayage, ce qui a été exporté dans des pays lointains et ce qui en est resté pour grossir le stock métallique. Ce n’est pas tout encore : la quantité de métaux précieux qu’on possède et la proportion dont elle s’accroît chaque année ne signifient rien, si on ne les rapproche des besoins auxquels ces métaux sont destinés à satisfaire. Il faut donc dresser un troisième tableau, celui du progrès de la population et du développement des affaires. Ce n’est qu’après avoir groupé tous ces élémens, après en avoir apprécié la valeur relative, qu’on est en mesure de se prononcer avec une apparence d’autorité sur les causes qui ont mo-