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que le prix des marchandises n’aurait monté que de 200 pour 100. Ce point est essentiel à noter pour l’appréciation des faits contemporains. A partir de 1640, où eut lieu l’apogée des prix, l’extraction des métaux précieux ne se ralentit pas, elle ne fit que s’activer. De 1640 à 1809, elle atteignit en Europe et en Amérique un total brut de 27 milliards[1], et un total net de 24 milliards 1/2, déduction faite de la perte et de l’usure. Malgré cela, on ne remarque pas de modification sensible dans les prix; quelques personnes ont pensé, il est vrai, qu’aux approches de la révolution de 1789, et pendant une période qui finit à 1809, il y eut une légère hausse, et que l’argent perdit un peu de sa valeur. C’est surtout l’opinion d’un économiste anglais contemporain, M. Jevons, qui attribue ce fait à une recrudescence dans la production des métaux précieux. Sans nier le fait en lui-même, on pourrait en contester sérieusement l’explication. La période de 1789 à 1810 a été traversée par toute espèce de calamités, par la révolution, par la guerre, par les obstacles de toute nature mis à la création et à la circulation des produits. C’était l’époque où en France le sucre valait plus de 5 francs la livre, où l’on payait le thé, le café, des prix analogues, où il n’y avait plus de bras dans les fabriques, occupés qu’ils étaient partout à porter les armes. Il n’est pas étonnant qu’il y ait eu à ce moment une hausse générale, et il n’est pas nécessaire pour l’expliquer de l’attribuer à l’influence des métaux précieux. Il se peut qu’en effet la production de ces métaux fût alors plus considérable que ne l’exigeaient les besoins du commerce; mais il s’en faisait d’autre part un tel gaspillage par la guerre, il en était tant enfoui par la crainte du pillage, qu’il est douteux qu’il y ait eu surabondance. Ce qui prouve que les prix à ce moment n’avaient rien à démêler avec la trop grande abondance de l’or et de l’argent, c’est qu’aussitôt la guerre finie, après 1815, ils baissèrent, bien que la production des mines ne se fût pas encore ralentie. Quoi qu’il en soit de cette légère divergence sur un point peu important de l’histoire, il n’en reste pas moins avéré, et c’est le fait essentiel, que de 1640 à 1789, si l’on veut, malgré une production de métaux précieux triple de la quantité qui existait au début de la période et qu’on évalue à 6 milliards 1/2, il n’y eut aucun changement dans les prix. L’hectolitre de blé se retrouve dans les années qui ont précédé 1789 à 15 et 16 francs, comme en 1640.

  1. ¬¬¬
    Production totale. Production annuelle.
    De 1640 à 1700 5 milliards. 83 millions.
    De 1700 à 1809 22 — 200 —
    27 milliards.