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encore maintenant. Nous envoyons chaque année des sommes prodigieuses dans l’Inde, et c’est une perspective singulièrement rassurante pour l’avenir que le pouvoir d’absorption de contrées qui ont des centaines de millions d’habitans, et avec lesquelles nos relations sont loin d’être ce qu’elles deviendront. Enfin qui peut répondre que les mines donneront toujours ce milliard annuel qu’elles donnent maintenant, qu’elles ne s’épuiseront pas? Elles se sont épuisées relativement après la découverte de l’Amérique; il a fallu des procédés d’extraction plus puissans pour en maintenir la production au niveau des besoins. On remarque déjà les mêmes effets aujourd’hui. L’or en Californie et en Australie ne se trouve plus dans les sables mêlés aux terrains d’alluvion comme aux premiers momens : il faut broyer le quartz et des roches très dures, laver une quantité de terre considérable pour en extraire des parcelles d’or assez minimes. Ce travail est très coûteux, et tant qu’on n’aura pas fait la découverte de nouveaux gisemens aussi féconds et aussi faciles à exploiter que l’ont été au début ceux de la Californie et de l’Australie, la production ne sera ni assez importante ni assez économique pour agir sur les prix des objets usuels; on peut même considérer comme probable que les sociétés, pour avoir les instrumens d’échange nécessaires, devront perfectionner beaucoup encore leurs moyens de crédit. Voilà l’avenir tel qu’il apparaît quand on rapproche le mouvement des métaux précieux de celui du progrès possible de la civilisation.


IV.

Maintenant est-ce à dire qu’il faille nier toute espèce d’influence des métaux précieux sur la variation des prix? Loin de là; ils en ont au contraire exercé une très grande, seulement par des voies tout autres que celles qu’on suppose. Ils ont agi comme le chemin de fer, comme le télégraphe électrique, comme toutes les grandes découvertes modernes. Il est bien évident que, sans le tribut des mines de la Californie et de l’Australie, nous n’aurions pas vu les prix varier ainsi qu’ils l’ont fait, celui de certaines denrées alimentaires s’élever de 90 pour 100, celui des salaires de 25 à 30 pour 100. Pourquoi? Parce qu’il n’y aurait pas eu le même développement de la richesse publique. On ne veut considérer les métaux précieux que comme des instrumens de circulation, des moyens d’échange plus ou moins onéreux; on s’imagine qu’on en possède une quantité suffisante, et que toute production qui fait plus que de réparer les pertes est plutôt un mal qu’un bien. Les métaux précieux