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ce qui a opéré ce changement? Sont-ce les métaux précieux? Évidemment non. Ce sont les chemins de fer, ce sont les voies de communication devenues plus faciles. Dès qu’un chemin de fer pénètre dans une contrée, les prix s’élèvent, ils se mettent au niveau de ceux de la contrée voisine, de ceux des pays vers lesquels on trouve des débouchés. On en fait l’expérience tous les jours : les chemins de fer et les bateaux à vapeur, voilà en fait de prix les grands régulateurs, les grands niveleurs de notre époque.

Autrefois, dans un certain rayon, on avait le monopole de l’approvisionnement des grandes villes; pour la capitale, c’était une distance de vingt-cinq à trente lieues; il était difficile de l’étendre davantage à cause de la cherté et de la difficulté des communications. Aussi dans ce rayon la terre, à qualité égale, avait-elle plus de valeur qu’ailleurs, et les fermages montaient plus rapidement. Depuis les chemins de fer, il n’y a plus de monopole, plus de rayon privilégié. Les grandes villes tirent leur approvisionnement de partout, de cent lieues aussi bien que de vingt-cinq. On voit arriver à Paris des distances les plus grandes, non pas seulement de la viande de boucherie et quelques primeurs, mais jusqu’aux légumes et aux fruits usuels; la compagnie d’Orléans notamment y apporte des cerises et des fraises qui viennent des extrémités de la France. Ce n’est plus qu’une question de frais de transport, et, comme ces frais diminuent de plus en plus grâce aux immenses ressources dont disposent les chemins de fer et à l’intelligence de leurs administrateurs, qui savent approprier les tarifs aux marchandises qu’ils ont à déplacer, les prix tendent partout à s’égaliser; ils montent peu ou point là où ils s’étaient déjà fort élevés précédemment, et beaucoup là où ils étaient restés très en arrière. Il est curieux de constater par exemple que c’est surtout dans les provinces les plus éloignées qu’on a vu les plus grandes modifications. Nous pourrions citer à une distance de vingt lieues de Paris un domaine d’excellentes terres, très bien cultivées, qui s’est vendu, il y a dix ans, au même prix qu’il y a trente ans, et dont le fermage n’a pas augmenté; il ne vaudrait pas davantage aujourd’hui. A cent lieues de la capitale et au-delà, la valeur de la terre et le revenu qu’elle donne ont pour ainsi dire doublé. Il en est de même pour la plupart des choses. C’est le contraire de ce qui avait eu lieu après la découverte de l’Amérique. Les prix se sont plus élevés dans les campagnes que dans les villes, parce que les campagnes ont plus gagné aux chemins de fer; elles ont trouvé les débouchés dont elles manquaient.

La modification dans les prix est si bien une question de débouchés qui ont changé les rapports entre l’offre et la demande, que,