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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/965

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aient préféré n’en pas souffler mot. Même discrétion chez les évêques français, et l’on chercherait vainement dans les Fragmens historiques de M. de Barrai, archevêque de Tours, un seul mot ayant trait au dernier épisode qui a mis fin aux orageux rapports de l’empereur avec le saint-siège. Nous allons tâcher de combler cette lacune; mais les scènes que nous avons à raconter rappellent parfois celles qui deux ans auparavant s’étaient passées dans le chef-lieu du département de Montenotte.

Ainsi que le constatait la lettre écrite par l’évêque de Nantes, Pie VII était agité, malade, et, suivant les propres expressions de M. Duvoisin, hors d’état de supporter une discussion, quand le chef de l’empire était tout à coup arrivé au palais de Fontainebleau. Pendant les quatre jours que durèrent les conférences, et aussi longtemps que Napoléon demeura près de lui, le saint-père avait réussi à dominer son émotion. A peine l’empereur fut-il parti que Pie VII tomba dans une profonde mélancolie, toute semblable à celle dont M. de Chabrol avait naguère signalé les effrayans symptômes dans les dépêches qui suivirent le départ des évêques députés à Savone. Les conséquences que pouvaient avoir pour l’église les concessions qui venaient de lui être arrachées se présentèrent à sa conscience sous les couleurs les plus noires. « Son âme, écrit le cardinal Pacca, fut brisée de repentir et de douleur[1]. Son désespoir redoubla encore lorsque les cardinaux di Pietro, Gabrielli et Litta, les premiers arrivés à Fontainebleau, vinrent à lui dire qu’on avait agi par surprise à son égard, et qu’en cédant il avait commis une très grande faute. Ces membres du sacré-collège avaient le droit de tenir ce langage, car ils avaient, pendant que le pape était prisonnier à Savone, souffert la séquestration et l’exil afin de rester fidèles aux instructions que Pie VII leur avait lui-même laissées en quittant Rome. Plus versés que le saint-père dans les affaires du siècle, mieux instruits de ce qui se passait en Europe, moins portés que lui à croire au triomphe définitif de l’empereur, ils n’eurent point de peine à lui faire sentir combien la résolution qu’il avait prise était fâcheuse. Il avait assumé une responsabilité immense en opérant de sa propre autorité une révolution aussi considérable dans l’église, en abandonnant le patrimoine de saint Pierre, qui ne lui appartenait point, et cela sans nécessité, lorsque Napoléon était peut-être à la veille de succomber[2]. Si ménagée qu’en fût l’expression, ces reproches que de pieux et zélés serviteurs lui adressaient relativement à l’abandon du pouvoir temporel et des prérogatives du saint-siège, c’étaient ceux-là mêmes que durant tant de nuits sans sommeil Pie VII n’avait cessé de se répéter à lui-même

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 318.
  2. M. Thiers, le Consulat et l’Empire, t. XV, p. 305.