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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/968

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avec invitation de la lui communiquer le plus promptement possible. L’embarras des personnages consultés par le souverain pontife n’était pas moindre que le sien. Il s’agissait pour eux de remettre en question un traité signé sans leur participation. Ils étaient séparés des canonistes expérimentés que le Vatican a coutume de consulter en ces graves matières; ils étaient privés des documens et des mémoires que renferment sur ces questions délicates les archives publiques et particulières de la ville pontificale. Ils se savaient en outre épiés par les créatures de l’empereur, et ne pouvaient guère se réunir, fût-ce en petit nombre, sans se faire soupçonner d’intrigues. Il y a plus : ils n’étaient point d’accord entre eux. Parmi les cardinaux noirs, il ne régnait pas cette uniformité de vues qu’on aurait pu s’attendre à trouver chez des gens qui avaient suivi la même voie, partagé les mêmes souffrances, et subissaient encore le même exil. Plusieurs craignaient de provoquer le retour des rigueurs auxquelles ils venaient à peine d’échapper. Quant aux cardinaux rouges, tout en prodiguant au souverain pontife les témoignages du plus vif attachement, ils tremblaient autant que jamais d’entrer en lutte ouverte contre le chef de l’empire. L’indécision de ces membres du sacré-collège était si grande qu’elle jetait dans de terribles inquiétudes leurs chefs naturels, les deux anciens secrétaires d’état Consalvi et Pacca[1].

Il résulta en effet des réponses recueillies par le saint-père que le sacré-collège était divisé en deux camps. « Les cardinaux qui avaient pris part au concordat de Fontainebleau et quelques-uns des cardinaux noirs, entraînés par l’esprit de cour et par faiblesse de caractère, demandaient le maintien du traité ; mais, pour calmer les clameurs des opposans, ils proposaient de reprendre les négociations, et d’y faire insérer d’autres clauses plus favorables au saint-siège et au pape. Les autres cardinaux exigeaient une rétractation prompte et entière de ce concordat comme le seul moyen de réparer le scandale donné à l’univers catholique, et de conjurer les maux qui menaçaient l’église[2]... Il ne convenait pas, disaient les partisans de la reprise des négociations, à la majesté d’un prince, à la sublime dignité du chef de l’église, de manquer aussi ouvertement à sa parole, de déclarer qu’il se refusait à l’exécution d’un traité fraîchement revêtu de sa signature, et conclu tête à tête avec un puissant monarque auquel il devait le précieux avantage de se voir entouré d’une grande partie des membres du sacré-collège, jusqu’alors dispersés ou emprisonnés. Il était facile d’ailleurs de prévoir

  1. « Le dirai-je enfin? le caractère de mes collègues me ferait craindre avec raison que je ne pusse dire de quelques-uns d’entre eux : Novi pastores in pace leones, in prœlio cervos. » — Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 322.
  2. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 323.