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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/1006

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et d’autre à cette extrémité singulière, où le gouvernement est bien obligé de céder à demi en se donnant encore des airs de résistance, où l’opposition a de la peine à retenir une agitation qu’elle a fomentée, qui en se prolongeant serait désormais sans objet, qui ne serait plus que déplorablement compromettante, si elle devait aboutir à quelque sanglant et inutile conflit. Nous ignorons naturellement si, malgré tout, le 26 octobre il y aura quelque chose, comme on le dit, si le bon sens recevra cette grossière insulte d’une tentative dont la liberté serait la première à souffrir ; nous ne savons pas si ce jour-là, comme on le prétend, M. Raspail enverra aux ministres une sommation par huissier pour les contraindre à venir s’expliquer avec lui, et si cent mille hommes partiront en procession de la colonne de la Bastille pour se rendre sur la place de la Concorde. À vrai dire, nous croyons qu’il n’y aura rien, que la journée se passera dans l’attente de ce qui ne viendra pas. Ce que nous savons bien, c’est que dans notre pays il y a une persévérante et dangereuse manie : c’est le besoin de tout pousser à l’extrême, de voir jusqu’à quel point la corde peut se tendre sans casser. On cherche les émotions et les excitans, on aime le péril et les questions suspendues à un fil. Vous vous souvenez de cette habitude qu’ont les enfans batailleurs de tracer une ligne et de se défier mutuellement de la dépasser : ce sont de jeunes politiques ; mais après tout ce n’est plus un jeu d’enfans quand il s’agit du sang et des libertés d’un pays.

Les défis puérils ou violens ne servent à rien. La vérité est qu’à travers cet épisode, qui en est encore à se dérouler sous la forme d’un roman épistolaire, — car tout le monde écrit des lettres, c’est par lettres maintenant que se fait la politique, — à travers cet épisode on peut voir se dessiner toute notre vie intérieure avec ses conditions essentielles, ses difficultés et ses périls. Cette menace de manifestation pour le 26 octobre n’est qu’une de ces lueurs qui éclairent les profondeurs d’une crise publique. Qu’on laisse de côté les fantasmagories de ceux qui ne voient dans la politique que des coups de théâtre ; restons dans la vérité. Aujourd’hui comme hier, nous sommes en face d’une situation des plus graves ; nous avons devant nous une œuvre nécessaire, pressante, assez simple en apparence et au fond très compliquée. Il faut enfin que le pays, après toutes les expériences que les événemens lui ont infligées, arrive à être maître de lui-même, à diriger ses affaires et à se gouverner ; il faut que la liberté, une liberté vraie, sérieuse et pratique, pénètre dans les lois comme dans les mœurs, dans l’organisation publique tout entière. C’est le mot d’ordre universel aujourd’hui. Il s’agit seulement de savoir comment le but sera atteint, dans quelle mesure chacun peut et doit concourir à l’œuvre commune. Ce qui n’est point douteux, c’est que deux choses également puissantes, également significatives, se font jour à travers tous les débats confus qui s’agitent, et créent des res-