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nouvelle dans les communications générales, de sorte que ce canal, œuvre si intéressante d’ailleurs, pourrait rester une affaire plus brillante que productive.

À qui profitera ce canal de Suez, qui, en réalité, n’est plus aujourd’hui qu’un incident dans le travail contemporain d’extension et de renouvellement des communications générales ? Il profitera certainement à tout le monde, il concourra à un mouvement d’intérêts dont il recueillera lui-même l’avantage. Il serait curieux cependant que la France, par qui l’œuvre s’est accomplie, dût y gagner moins que d’autres pays. Ce n’est pas d’aujourd’hui, on le sait bien, qu’une lutte singulière est engagée, que les esprits sont en travail, en Italie et en Allemagne comme en Angleterre, pour détourner de la France ce grand courant de commerce qui relie l’extrême Orient à l’Europe, et ces jours derniers on annonçait comme le fait le plus simple que la malle des Indes, cessant de prendre la voie de Marseille, passerait désormais par Brindisi. C’est un premier pas. La malle des Indes n’évite pas encore tout à fait la France, elle prend la voie du Mont-Cenis ; mais on ne s’arrêtera pas là évidemment. L’étude d’une route nouvelle se poursuit avec activité. L’Angleterre fait reconnaître la ligne qui pourrait offrir le plus d’avantages. Des négociations ont été ouvertes entre l’Italie, l’Allemagne et la Suisse pour une nouvelle percée des Alpes par le Saint-Gothard. Des travaux d’une certaine importance s’exécutent dans le port de Brindisi. Il s’agirait d’établir la communication nouvelle par Brindisi et Ostende. Si ce n’était qu’un service de dépêches, le passage de la malle des Indes, ce ne serait rien ; mais c’est par le fait tout un déplacement possible des courans commerciaux qui s’accomplirait au désavantage de la France, et de Marseille particulièrement. C’est une lutte engagée, et Marseille, par son port, par ses aménagemens, par les ressources qu’elle offre au commerce, est encore de force à soutenir le combat, si elle est secondée, si l’administration des postes se hâte de régulariser et d’activer ses communications, si nos chemins de fer n’hésitent pas à réformer leurs tarifs. Ce n’est pas moins un spectacle curieux que ce mouvement universel, et lorsque nous nous agitons dans de vaines querelles, lorsque des esprits violens ou futiles se montrent toujours prêts à jouer les destinées du pays, on devrait bien plutôt s’émouvoir de cette grande lutte de toutes les activités, de tous les intérêts, où la France est tenue de garder son rôle prééminent, de défendre son influence.

Dans ce mouvement universel, la mort fait toujours malheureusement son œuvre. Elle vient aujourd’hui d’étendre ses ombres sur une des intelligences les plus vives et les plus lumineuses. M. Sainte-Beuve s’est éteint après de longues souffrances. Pour la Revue, c’était plus qu’un éminent personnage littéraire, c’était un compagnon des anciens jours, un collaborateur de la première heure. Dans la longue, laborieuse et