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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/107

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sa force, puis livré aux Philistins, et qui se venge d’une terrible manière quand ses cheveux ont repoussé, Samson est bien évidemment un héros solaire ramené aux proportions terrestres par la tradition monothéiste des temps qui suivirent. Il n’est pas jusqu’à la fameuse mâchoire d’âne d’où jaillit une source rafraîchissante au bénéfice du guerrier altéré, qui ne trouve son explication naturelle dans la forme d’un amas de rochers ressemblant de loin à une mâchoire d’âne et à cause de cela nommé « Ramat Lechi, » le mont Mâchoire, comme nous avons des dents d’Oche ou du Midi, des Scheidecken ou dos d’âne. Dans une des cavités de la montagne sourdait une eau à laquelle on attribuait probablement des vertus miraculeuses, car, dit le narrateur de la légende, « on l’appelle encore aujourd’hui Hen-Hakkoré, la Fontaine du priant. » De son temps, on montrait donc au passant la source que Jehovah avait fait jaillir d’une des grosses dents du mont Mâchoire. Il est dans l’Ancien-Testament peu de fragmens plus visiblement mythologiques et mettant mieux en lumière le naïf procédé qui permit aux écrivains jehovistes d’incorporer dans l’histoire du monothéisme des récits d’une origine païenne[1].

Pour revenir au jehovisme, le souvenir ineffaçable de la vieille unité nationale l’avait maintenu ; le désir, éveillé par les maux de la division, de rétablir cette unité et de la resserrer le fit prédominer. À la fin de la période des Juges, les tribus d’Israël forment une sorte de théocratie dirigée par le chef des prêtres de Silo, Êlie, puis Samuel. Une institution singulière, le naziréat, commence à paraître. Le nazir est un homme qui se consacre à Jehovah, laisse croître ses cheveux et sa barbe, s’abstient des mets déclarés impurs, et surtout des boissons fermentées. Le trait du mythe de Samson, d’après lequel ce héros danite devait sa force à ses cheveux vierges de tout instrument tranchant, a suffi pour suggérer aux narrateurs l’idée que Samson était un naziréen. Sa vie pourtant ne répond guère à un tel idéal. Le naziréat doit avoir été une sorte de protestation nationale et religieuse contre les désordres qu’entraînait la négligence du culte de Jehovah, jointe à la complaisance pour les mœurs étrangères. C’est toujours la simplicité de l’ancienne vie patriarcale qui ramène à Jehovah. Cette tendance devait surtout réagir contre les orgies célébrées en l’honneur des dieux cananéens. Vers le même temps, le prophétisme d’Israël

  1. Signalons à ce propos la belle étude que M. de Steinthal a consacrée à la légende de Samson dans le second volume du Zeitschrift für Vôlkerpsychologie (Revue de Psychologie ethnologique). Nous y voyons qu’en face de Cythère se trouvait un sanctuaire d’origine phénicienne, sur un promontoire laconien qui portait le nom d’Onugnathos, mâchoire d’âne. On y adorait une déesse très semblable à l’Onka de Thèbes, modification de l’Astarté sidonienne.