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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/142

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commissaire chargé d’inspirer et de guider l’administration départementale[1]. Le directoire, puis l’empire, avec une logique que ne sauraient invoquer à leur décharge les gouvernemens qui les ont suivis, ont poussé ce système jusqu’à ses dernières conséquences. Le premier consul, qui avait le génie du pouvoir personnel, remit l’administration du département à un agent unique, le préfet, et celle des arrondissemens, qui remplacèrent les districts, à un sous-préfet[2]. Plus tard, pendant le consulat à vie, Bonaparte s’arrogea le droit de nommer seul les conseils-généraux et les conseils d’arrondissement. Grâce à des combinaisons semblables s’appliquant à tous les degrés de l’organisation administrative, la France entière, pendant l’empire, n’agit que sous la main d’un seul homme et ne pensa que selon sa volonté. La restauration et le gouvernement de juillet, quoiqu’ils eussent plus ou moins l’intention de donner à notre pays des institutions libérales, restèrent dans ces erremens. Ils conservèrent presque intact l’ordre administratif qui leur avait été légué. Cette opiniâtreté dans l’erreur n’est pas le fait seul des gouvernemens : les esprits les plus libéraux d’alors, fidèles à la pensée que l’homogénéité des intérêts et la fusion des provinces étaient dues à la centralisation, ne voulaient admettre rien qui lui fût contraire. Aujourd’hui, même pour les partisans passionnés de l’unité française, cette œuvre non-seulement est achevée, mais fortement consolidée. On peut donc rechercher s’il n’est pas possible, par d’utiles modifications, de mettre notre système administratif en harmonie avec les nécessités d’un gouvernement libre.

Nous n’hésitons pas à dire que le suffrage universel n’acquerra son indépendance que par une réforme radicale de notre organisation administrative. Comment espérer la liberté des élections, lorsqu’une armée de fonctionnaires, d’agens de toute nature, qui vivent par le gouvernement, qui attendent de lui leur avancement, la récompense de leur zèle, qui espèrent et craignent tout du pouvoir central, enserre le pays entier ? Un mot lancé par ce maître tout-puissant est du haut en bas de la hiérarchie comme le commandement d’un chef pour les troupes les mieux disciplinées. On ne le contrôle pas, on ne le discute pas ; on l’exécute. Et à son tour quelle influence puissante ce corps de fonctionnaires n’exerce-t-il pas sur les populations ! Cet état de choses est non-seulement la négation de l’indépendance du suffrage universel, mais aussi un obstacle à la formation de nos mœurs publiques. Jamais un peuple libre ne pourra vivre avec une pareille organisation, jamais l’opinion publique ne circulera avec assez de force pour être le véritable

  1. Constitution du 5 fructidor an III.
  2. Loi du 25 pluviôse an VIII.