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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/15

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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

rudimentaire, avec ses cinq dogmes fondamentaux, création, Providence, péché originel, incarnation et rédemption. De ces cinq dogmes, les deux premiers ne sont pas, à proprement parler, des dogmes chrétiens ; nous n’en voulons d’autres preuves que le témoignage de M. Guizot lui-même, pour qui l’on cesse d’être chrétien en niant la divinité de Jésus-Christ, lors même qu’on continue de croire à la Providence et à la création. Restent donc, pour constituer essentiellement le christianisme, trois dogmes fondamentaux, péché originel, incarnation et rédemption. De ces trois dogmes, les deux derniers sont évidemment les conséquences du premier. En effet, sans péché point de rédemption, et sans la rédemption point d’incarnation. Ainsi, le christianisme tout entier est contenu dans le dogme de la chute originelle[1]. »

M. Janet examine alors le dogme du péché originel dans son principe comme dans ses conséquences ; il le repousse au nom de la morale comme de la raison humaine, et conclut en disant : « La doctrine de la chute, présentée comme une solution au mystère de notre destinée, n’explique rien, absolument rien. Oui, il y a des problèmes naturels, universels, indestructibles, et nous considérons comme une chimère la prétention de les abolir dans l’âme humaine, d’en détourner à jamais l’esprit et le cœur de l’homme. Non, il n’est pas vrai que la philosophie soit absolument impuissante dans la solution de ces problèmes, et que la théologie chrétienne explique ce que la philosophie n’expliquerait pas. »

Je ne m’arrête pas à discuter ici cette réduction du christianisme tout entier au dogme du péché originel, ni l’attaque spéciale de M. Janet contre ce dogme ; elle a, je crois, sa source dans une observation incomplète de la nature humaine et dans une méprise grave sur le sens du dogme lui-même. Je ne veux en ce moment que bien marquer le caractère de la polémique de M. Janet, et faire entrevoir en quoi elle reste étrangère à la question suprême, à la question de la vérité intrinsèque et générale du christianisme. M. Janet prend et discute les dogmes chrétiens comme il prendrait et discuterait les idées de Platon, d’Aristote, de Leibniz ou de Kant ; dans l’un comme dans l’autre cas, sous les noms de religion ou de philosophie, il ne voit là que des œuvres de l’esprit humain, de grands exemples de ses efforts, heureux ou malheureux, pour résoudre les problèmes de la nature et de la destinée humaine. Cette assimilation entre les dogmes chrétiens et les systèmes philosophiques est le point de départ de M. Janet, la donnée première de sa controverse : assimilation illégitime et trompeuse ; les dogmes chrétiens ne sont pas, comme les

  1. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1869, p. 337,341,360,364,366.